Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome II.djvu/365

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suis né cagou. J’ai été très riche, et j’ai mangé mon bien. Ma mère voulait me faire officier, mon père sous-diacre, ma tante conseiller aux enquêtes, ma grand’mère protonotaire du roi, ma grand’tante trésorier de robe courte. Moi, je me suis fait truand. J’ai dit cela à mon père qui m’a craché sa malédiction au visage, à ma mère qui s’est mise, la vieille dame, à pleurer et à baver comme cette bûche sur ce chenet. Vive la joie ! je suis un vrai Bicêtre ! Tavernière ma mie, d’autre vin ! j’ai encore de quoi payer. Je ne veux plus de vin de Suresnes. Il me chagrine le gosier. J’aimerais autant, corbœuf ! me gargariser d’un panier !

Cependant la cohue applaudissait avec des éclats de rire et, voyant que le tumulte redoublait autour de lui, l’écolier s’écria : — Oh ! le beau bruit ! Populi debacchantis populosa debacchatio ! Alors il se mit à chanter, l’œil comme noyé dans l’extase, du ton d’un chanoine qui entonne vêpres : — Quæ cantica ! quæ organa ! quæ cantilenæ ! quæ melodiæ hic sine fine decantantur ! sonant melliflua hymnorum organa, suavißima angelorum melodia, cantica canticorum mira !… Il s’interrompit : — Buvetière du diable, donne-moi à souper.

Il y eut un moment de quasi-silence pendant lequel s’éleva à son tour la voix aigre du duc d’Égypte, enseignant ses bohémiens : — … La belette s’appelle Aduine, le renard Pied-Bleu ou le Coureur-des-Bois, le loup Pied-Gris ou Pied-Doré, l’ours le Vieux ou le Grand-Père. — Le bonnet d’un gnome rend invisible, et fait voir les choses invisibles. — Tout crapaud qu’on baptise doit être vêtu de velours rouge ou noir, une sonnette au cou, une sonnette aux pieds. Le parrain tient la tête, la marraine le derrière. — C’est le démon Sidragasum qui a le pouvoir de faire danser les filles toutes nues.

— Par la messe ! interrompit Jehan, je voudrais être le démon Sidragasum.

Cependant les truands continuaient de s’armer en chuchotant à l’autre bout du cabaret.

— Cette pauvre Esmeralda ! disait un bohémien. — C’est notre sœur. — Il faut la tirer de là.

— Est-elle donc toujours à Notre-Dame ? reprenait un marcandier à mine de juif.

— Oui, pardieu !

— Eh bien ! camarades, s’écria le marcandier, à Notre-Dame ! D’autant mieux qu’il y a à la chapelle des saints Féréol et Ferrution deux statues, l’une de saint Jean-Baptiste, l’autre de saint Antoine, toutes d’or, pesant ensemble dix-sept marcs d’or et quinze estellins, et les sous-pieds d’argent doré dix-sept marcs cinq onces. Je sais cela. Je suis orfèvre.

Ici on servit à Jehan son souper. Il s’écria, en s’étalant sur la gorge de la fille sa voisine :

— Par saint Voult-de-Lucques, que le peuple appelle saint Goguelu, je