Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome II.djvu/428

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— Sauvez-moi ! sauvez-moi ! ma mère ! les voilà qui viennent !

La recluse devint pâle.

— Ô ciel ! que dis-tu là ? J’avais oublié ! on te poursuit ! Qu’as-tu donc fait ?

— Je ne sais pas, répondit la malheureuse enfant, mais je suis condamnée à mourir.

— Mourir ! dit Gudule chancelant comme sous un coup de foudre. Mourir ! reprit-elle lentement et regardant sa fille avec son œil fixe.

— Oui, ma mère, reprit la jeune fille éperdue, ils veulent me tuer. Voilà qu’on vient me prendre. Cette potence est pour moi ! Sauvez-moi ! sauvez-moi ! Ils arrivent ! sauvez-moi !

La recluse resta quelques instants immobile comme une pétrification, puis elle remua la tête en signe de doute, et tout à coup partant d’un éclat de rire, mais de son rire effrayant qui lui était revenu : — Ho ! ho ! non ! c’est un rêve que tu me dis là. Ah ! oui ! je l’aurais perdue, cela aurait duré quinze ans, et puis je la retrouverais, et cela durerait une minute ! Et on me la reprendrait ! et c’est maintenant qu’elle est belle, qu’elle est grande, qu’elle me parle, qu’elle m’aime, c’est maintenant qu’ils viendraient me la manger, sous mes yeux à moi qui suis la mère ! Oh non ! ces choses-là ne sont pas possibles. Le bon Dieu n’en permet pas comme cela.

Ici la cavalcade parut s’arrêter, et l’on entendit une voix éloignée qui disait : — Par ici, messire Tristan ! Le prêtre dit que nous la trouverons au Trou aux rats. — Le bruit de chevaux recommença.

La recluse se dressa debout avec un cri désespéré. — Sauve-toi ! sauve-toi, mon enfant ! Tout me revient. Tu as raison. C’est ta mort ! Horreur ! malédiction ! Sauve-toi !

Elle mit la tête à la lucarne, et la retira vite.

— Reste, dit-elle d’une voix basse, brève et lugubre, en serrant convulsivement la main de l’égyptienne plus morte que vive. Reste ! ne souffle pas ! il y a des soldats partout. Tu ne peux sortir. Il fait trop de jour.

Ses yeux étaient secs et brûlants. Elle resta un moment sans parler. Seulement elle marchait à grands pas dans la cellule, et s’arrêtait par intervalles pour s’arracher des poignées de cheveux gris qu’elle déchirait ensuite avec ses dents.

Tout à coup elle dit : — Ils approchent. Je vais leur parler. Cache-toi dans ce coin. Ils ne te verront pas. Je leur dirai que tu t’es échappée, que je t’ai lâchée, ma foi !

Elle posa sa fille, car elle la portait toujours, dans un angle de la cellule qu’on ne voyait pas du dehors. Elle l’accroupit, l’arrangea soigneusement de manière que ni son pied ni sa main ne dépassassent l’ombre, lui dénoua ses cheveux noirs qu’elle répandit sur sa robe blanche pour la masquer, mit