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LES MISÉRABLES. — FANTINE.


III

détails sur les fromageries de pontarlier.


Maintenant, pour donner une idée de ce qui se passa à cette table, nous ne saurions mieux faire que de transcrire ici un passage d’une lettre de mademoiselle Baptistine à madame de Boischevron, où la conversation du forçat et de l’évêque est racontée avec une minutie naïve : .............................. « … Cet homme ne faisait aucune attention à personne. Il mangeait avec une voracité d’affamé. Cependant, après la soupe, il a dit :

« — Monsieur le curé du bon Dieu, tout ceci est encore bien trop bon pour moi, mais je dois dire que les rouliers qui n’ont pas voulu me laisser manger avec eux font meilleure chère que vous.

« Entre nous, l’observation m’a un peu choquée. Mon frère a répondu :

« — Ils ont plus de fatigue que moi.

« — Non, a repris cet homme, ils ont plus d’argent. Vous êtes pauvre. Je vois bien. Vous n’êtes peut-être pas même curé. Êtes-vous curé seulement ? Ah ! par exemple, si le bon Dieu était juste, vous devriez bien être curé.

« — Le bon Dieu est plus que juste, a dit mon frère.

« Un moment après il a ajouté :

« — Monsieur Jean Valjean, c’est à Pontarlier que vous allez ?

« — Avec itinéraire obligé.

« Je crois bien que c’est comme cela que l’homme a dit. Puis il a continué :

« — Il faut que je sois en route demain à la pointe du jour. Il fait dur voyager. Si les nuits sont froides, les journées sont chaudes.

« — Vous allez là, a repris mon frère, dans un bon pays. À la révolution, ma famille a été ruinée, je me suis réfugié en Franche-Comté d’abord, et j’y ai vécu quelque temps du travail de mes bras. J’avais de la bonne volonté. J’ai trouvé à m’y occuper. On n’a qu’à choisir. Il y a des papeteries, des tanneries, des distilleries, des huileries, des fabriques d’horlogerie en grand, des fabriques d’acier, des fabriques de cuivre, au moins vingt usines de fer, dont quatre à Lods, à Châtillon, à Audincourt et à Beure qui sont très considérables…

« Je crois ne pas me tromper et que ce sont bien là les noms que mon frère a cités, puis il s’est interrompu et m’a adressé la parole :