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UN LIEU OÙ DES CONVICTIONS…

plaidoirie, les accents qu’on vient d’entendre, le siècle de Louis XIV, le grand siècle, un théâtre, le temple de Melpomène, la famille régnante, l’auguste sang de nos rois, un concert, une solennité musicale, monsieur le général commandant le département, l’illustre guerrier qui, etc., les élèves du séminaire, ces tendres lévites, les erreurs imputées aux journaux, l’imposture qui distille son venin dans les colonnes de ces organes, etc., etc. — L’avocat donc avait commencé par s’expliquer sur le vol de pommes, — chose malaisée en beau style ; mais Bénigne Bossuet lui-même a été obligé de faire allusion à une poule en pleine oraison funèbre, et il s’en est tiré avec pompe. L’avocat avait établi que le vol de pommes n’était pas matériellement prouvé. — Son client, qu’en sa qualité de défenseur, il persistait à appeler Champmathieu, n’avait été vu de personne escaladant le mur ou cassant la branche. — On l’avait arrêté nanti de cette branche (que l’avocat appelait plus volontiers rameau)-, — mais il disait l’avoir trouvée à terre et ramassée. Où était la preuve du contraire ? — Sans doute cette branche avait été cassée et dérobée après escalade, puis jetée là par le maraudeur alarmé ; sans doute il y avait un voleur. — Mais qu’est-ce qui prouvait que ce voleur était Champmathieu ? Une seule chose. Sa qualité d’ancien forçat. L’avocat ne niait pas que cette qualité ne parût malheureusement bien constatée ; l’accusé avait résidé à Faverolles ; l’accuse y avait été émondeur ; le nom de Champmathieu pouvait bien avoir pour origine Jean Mathieu ; tout cela était vrai ; enfin quatre témoins reconnaissaient sans hésiter et positivement Champmathieu pour être le galérien Jean Valjean ; à ces indications, à ces témoignages, l’avocat ne pouvait opposer que la dénégation de son client, dénégation intéressée ; mais en supposant qu’il fût le forçât Jean Valjean, cela prouvait-il qu’il fût le voleur des pommes ? C’était une présomption, tout au plus ; non une preuve. L’accusé, cela était vrai, et le défenseur « dans sa bonne foi » devait en convenir, avait adopté « un mauvais système de défense ». Il s’obstinait à nier tout, le vol et sa qualité de forçat. Un aveu sur ce dernier point eût mieux valu, à coup sûr, et lui eût concilié l’indulgence de ses juges ; l’avocat le lui avait conseillé ; mais l’accusé s’y était refusé obstinément, croyant sans doute sauver tout en n’avouant rien. C’était un tort ; mais ne fallait-il pas considérer la brièveté de cette intelligence ? Cet homme était visiblement stupide. Un long malheur au bagne, une longue misère hors du bagne, l’avaient abruti, etc., etc. Il se défendait mal, était-ce une raison pour le condamner ? Quant à l’affaire Petit-Gervais, l’avocat n’avait pas à la discuter, elle n’était point dans la cause. L’avocat concluait en suppliant le jury et la cour, si l’identité de Jean Valjean leur paraissait évidente, de lui appliquer les peines de police qui s’adressent au condamné en rupture de ban, et non le châtiment épouvantable qui frappe le forçat récidiviste.