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PRÉFACE PHILOSOPHIQUE.


XIII


L’être est un miracle innombrable. Multiplication vertigineuse ; unité impassible. Quel tourbillon que la génération ! Quel inextricable croisement de forces et de sèves ! Mesure qui pourra ce prodigieux diamètre de la vie qui a, à l’une de ses extrémités, le baiser d’Adam et d’Ève, et, à l’autre, la gemmiparité ! Pas un physiologiste, pas un psychologiste n’a osé étudier, sous son double aspect d’enchaînement et d’intervalle, le phénomène tout entier, depuis le mystérieux et sacré embrassement d’où sortira Shakespeare ou Michel-Ange jusqu’à la génération alternante de l’helminthe. Les problèmes de la germination se ramifient les uns dans les autres jusqu’à produire l’ombre absolue. Tout est mêlé à la vitalité, même la pourriture ; tout a ses vivants, même le sépulcre ; l’ossuaire fourmille ; la cendre pullule. L’entozoaire dans les muscles, l’annélide dans les intestins, le cisticerque sur la souris, la trichine sur le porc, le ccenure sur le mouton, le tœnia sur l’homme, le gui sur le chêne, quelle question que le parasitisme ! Est-ce de la mort ? est-ce de la vie ?

Des commencements de fonctions se mêlent à des achèvements de destinées ; tout crépuscule est double, aurore et soir. Cette formidable chrysalide qu’on appelle l’univers tressaille éternellement de sentir à la fois agoniser la chenille et s’éveiller le papillon.

Rien ne s’achève à pic ; tout ce qui finit une chose en ébauche une autre ; toute mort naît.

Rien ne s’amalgame, tout s’équilibre ; rien ne stagne, tout gravite ; l’interstice est la loi de l’être ; plus ou moins de densité, voilà toute la différence de la pierre au nuage ; le granit est un brouillard ; la hache qui coupe une tête est une vapeur ; entre deux atomes, comme entre deux univers, il y, a l’espace ; et l’intervalle est aussi infranchissable de la molécule à la molécule dans l’infini d’en bas que du soleil au soleil dans l’infini d’en haut.

Expliquer n’est pas plus possible que nier.

Vous entendez le vent. Qui est-ce qui le souffle ? Vous voyez l’aurore. Qui l’a allumée ? Vous respirez un liseron. Qui l’a parfumé ? Vous avez un enfant. Qui vous l’a donné ?

Isolez-vous donc, si vous le pouvez. Est-ce que l’idée n’est pas de toutes parts pénétrée par l’infini ? Est-ce que l’auréole du cerveau n’est pas mêlée