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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome III.djvu/372

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PRÉFACE PHILOSOPHIQUE.

Rharion ? La citerne de Lorette ressemble au puits de Parthénios, et Marie en fuite rappelle Cérès errante. Cérès, comme Marie, est une mater dolorosa.

Si l’on descend de ces hautes traditions épiques, les menues fables populaires offrent les mêmes concordances. C’est à l’imitation de Zéphyr et d’Éole que saint Clair donne le beau temps et saint Baumade la pluie. Saint Hospice dessèche la main levée sur lui, exactement comme le cheik Amrou paralyse l’émir Nassar-Eddin prêt à le frapper. À Issandon, un bœuf ne suffisait pas à traîner dans la montagne le chariot qui transportait le cercueil de saint Viance ; un ours vint se faire atteler à côté du bœuf ; à Bénarès, un tigre vint aider le singe Baniam à creuser la fosse du brahme Wharhâti. Les trois têtes de Cerbère qui aboient dans l’Averne aboient aussi dans l’île de Guernesey où l’on voit trois flammes sortir de la gueule du chien C’hy Coh, et dans l’île de Man, où l’on entend les trois jappements distincts du chien Mawth-Dog. Le spectre Perroblanco des Asturies est le même que le Kigwyn du pays de Galles et le Banco d’Ecosse. Kigwyn, en gallois, et Ban Cho, en dialecte calédonien, signifient Chien Blanc. Les femmes druses portent le tantour cornu en l’honneur de Bacchus, comme les cauchoises la coiffe pointue en l’honneur de saint Vallier, avec la même idée de talisman contre la stérilité.

Le sang qu’un coup de pierre fait jaillir du crâne de l’évêque Guy de Léron, mort depuis cent ans, n’est-ce pas l’épée de Cambyse faisant saigner le squelette du mage Raglath ? Simplicius retirant avec un signe du doigt la grosse pierre Lios du précipice de Capdenac, c’est Bawâsa ordonnant au rocher Nyan-hu de venir fermer sa grotte. Saint Colomban, ce sévère travailleur de la terre et de l’esprit, cet ascète impitoyable pour toute débilité, qui exigeait que les moines malades se levassent pour aller dans l’aire battre le blé, saint Colomban, Columba peccator, comme il se nommait lui-même, mangeait de l’herbe et de l’écorce d’arbre, ainsi qu’avait fait le druide Taliesin. Il se reprochait les baies de myrtil comme une sensualité.

Au dire de son disciple Chamnoaldus, plus tard évêque, les écureuils descendaient vers saint Colomban du haut des sapins (ferusculam, quam vulgo homines squirium vocant) ; les oiseaux venaient se cacher dans les plis de sa robe ; un jour, douze loups surviennent, le flairent, effleurent de leur gueule sa coule de bure, et passent (conspicit duodecim lupos advenire… intactum[1] relinquunt). Il renvoyait les ours des cavernes (abiitfera mitis, necprorsus estausa redire). Ici, après avoir été Taliesin, saint Colomban devient Orphée. Dictus ob hoc lenire tigres.

  1. Victor Hugo a placé en marge cette note : Il y a dans le texte interritum (vérifier ce mot). Textes extrait de Jonas, historien de saint Colomban.