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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

cet enseignement-là, tout est danger. Pas de superstitions, pas de faux jour. Les superstitions enseignées ne nourrissent pas, elles empoisonnent. L’obscurité est amie de cette clarté-là. L’enseignement qui se trompe ou qui "trompe est plus redoutable que l’ignorance même. Une chaire qui parle au rebours du juste et du vrai fait de la nuit. Côte à côte avec un mauvais enseignement, le mal se porte bien. La mauvaise leçon et la mauvaise action font un attelage. L’une aide l’autre. Tel catéchisme, tel code. Où l’âne est professeur, le loup est berger. Là où l’erreur est maîtresse d’école, là où le mensonge commence son crime par l’enfant, là où l’imposture tient la férule, là où l’iniquité est enseignée comme justice et la chimère comme vérité, l’asphyxie des âmes se fait, l’obscurité s’épaissit et devient opacité, le brouillard gagne et se répand, le crépuscule offre sa complicité. La forêt propose au malfaiteur l’embuscade, la rue est noire, et l’infâme charretée des forfaits et des vices n’en roule que mieux. La fausse lumière, quoi de pire ! le crime dit à cette chandelle : graisse ma roue avec ton suif.

Vingt années de bon enseignement gratuit et obligatoire, et tout sera dit, et l’aurore se sera levée. Plus de ces monstruosités que nous traînons ici, tout effarées et hideuses, devant ceux qui nous lisent. Les courbures de la conscience, ces courbures terribles, se redresseront. L’obscurité se dissipant, la noirceur s’effacera. Une inondation de vérité, voilà le salut. Il y a eu jadis, la géologie le démontre, un déluge funeste, le déluge de la matière, il nous faut maintenant le bon déluge, le déluge de l’esprit. L’instruction primaire et secondaire à flots, la science à flots, la logique à flots, l’amour à flots, et tous les malades que la nuit fait, tous les bègues de l’intelligence, tous les eunuques de la pensée, tous les infirmes de la raison, et les esprits haillons, et les âmes ordures, et le sabre, et la hache, et le poignard, et les pénalités monstres, et les codes féroces, et les enseignements imbéciles, et Dracon avec Loriquet, et les erreurs et les idolâtries, et les exploitations, et les superstitions, et les immondices, et les mensonges, et les opprobres, disparaîtront dans cet immense lavage de l’humanité par la lumière.

Gueulemer, Babet et Claquesous, eux aussi, étaient résédas et lauriers-roses pour des Palmyres et des Malvinas quelconques qui les subventionnaient sans les avoir jamais vus. Ils avaient retiré ce bénéfice de leurs divers passages dans les prisons de Paris.

Il arrive souvent, dans ces lamentables mœurs, que, sorti de détention, le détenu n’en dit rien, et s’en cache, et continue de recevoir ce subside de la pitié au voleur prisonnier, dont vit gaîment le voleur libre.

Voler l’amour, voler l’idéal, voler sous le couvert d’une fleur, c’est le dernier crime possible au voleur. Toute honte bue, on commet ce crime-là.

Le bandit flâne ; il jouit de la vie ; il a maintenant une esclave qui travaille pour lui ; il exploite, à distance, une misérable.

C’est ce qu’avaient fait Gueulemer, Babet et Claquesous. Montparnasse, n’ayant pas encore été en prison, n’était fleur pour personne.

Notons ici un détail douloureux. Les trois infortunées femmes que Claquesous,