liter, mais en désespéré qui cherche la mort…
Naturellement il ne l’a pas trouvée, et il en a été quitte pour une légère blessure, qu’il n’a même pas voulu faire panser. Il y a là un symptôme qui m’alarme pour lui quand je l’observe. À mesure que son esprit se déblaie, sa mémoire lui revient plus lucide et plus cruelle. Le jour qui se fait peu à peu dans son intelligence sert tout à la fois à le rendre meilleur et plus inexorable dans sa propre cause. Plus il se relève, moins il se pardonne, et ses énergiques efforts pour se racheter ont pour résultat immédiat d’exagérer à ses yeux le prix de la rançon. Tel qu’il est, il m’inspire le plus vif intérêt ; je ne le perdrai pas de vue, et j’espère qu’il ne me quittera plus.
Un soir, en mars 1814, Pierre Maurin arrive à l’évêché de Digne, mouillé jusqu’aux os, avec un uniforme en lambeaux. L’empereur était vaincu, la France envahie ; il reste au service de l’évêque, il retrouve Apollonie, la nièce de la vieille servante Rosalie qui avait aidé autrefois sa tante dans les soins du ménage, et qui est devenue une jeune fille. Une idylle s’ébauche, sans que l’un et l’autre osent se confier leurs sentiments ; Pierre ne veut même pas s’avouer son amour par honte de son passé cependant si glorieusement racheté, et, triste, sombre, croyant sa vie à jamais perdue moins par cette unique faute peut-être que par le souvenir du bagne, il disparaît un beau jour et va se faire tuer à Waterloo. Apollonie, âgée de 70 ans en 1862, était devenue la servante de l’abbé Angelin.
Voilà cette histoire vraie dans toute sa simplicité. Elle est la justification éclatante du récit de Victor Hugo, considéré comme invraisemblable. Un Pierre Maurin peut devenir un honnête homme et être la victime d’une peine en disproportion avec la faute commise.
L’histoire de Jean Valjean tire donc son origine de l’histoire de Pierre Maurin. Évidemment Victor Hugo a imaginé beaucoup d’événements et d’épisodes. Mais cette figure d’un malheureux condamné au bagne pour le vol d’un pain, rachetant sa faute par une vie de droiture et condamné quand même à l’expier par le fait de la rigueur des lois, cette figure est vraie.
On peut dire par conséquent que, dès 1829 ou 1830, lorsque Victor Hugo avait songé à mettre en scène Mgr Miollis, il avait connu l’histoire de Pierre Maurin. Plus tard, Victor Hugo écrivit et développa son récit, car s’il avait pendant bien des années médité son sujet, ce n’est qu’en 1845, comme nous l’avons dit, qu’il commença à écrire son roman des Misères. Jusque-là il forma tout un dossier de documents ; ainsi on y trouve un plan complet de la ville de Digne, dessiné à la main, avec les indications des monuments, des places, des boulevards et des rues ; puis le papier autographié suivant :
déterminées par le règlement du Roi du 5 février 1823.
(Suivent les indications.)
Puis le Code pénal des chiourmes.
Qui frappera l’un des agents de surveillance ou tuera l’un de ses camarades ;
Qui se révoltera ou occasionnera une révolte.
À vie, qui s’évadera (3 ans de double chaîne) ;
À tems, qui s’évadera (3 ans) ;
Qui volera pour une valeur au-dessus de cinq francs.
Qui aura limé ses fers ou employé un moyen pour s’évader ;
Sur lequel il sera trouvé des objets de travestissement ;
Qui s’enivrera ;
Qui jouera à des jeux de hasard ;
Qui fumera dans le port ou dans sa localité ;
Qui vendra ou dégradera ses robes ;