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NOTES DE L’ÉDITEUR.

ne font qu’augmenter les oscillations du faux marchepied.

Un forçat employé à bord avec une corvée du bagne court à l’officier de quart, lui demande la permission de monter dans le gréement pour sauver le malheureux que ses forces ne soutiendront peut-être pas assez longtemps. Sur un signe affirmatif de l’officier, il est en un instant sur la vergue, il la parcourt en courant. Arrivé au bout, il y attache l’extrémité d’une corde qu’il a prise avant de monter ; au moyen de cette corde, il s’affale près du matelot, l’amarre fortement avec cette même corde à laquelle il se tient d’une main pendant qu’il travaille de l’autre, puis remonte sur la vergue où il hale le matelot épuisé. Il le soutient là un instant pour lui laisser reprendre quelques forces, puis le saisissant dans ses bras, il le porte, en marchant sur la vergue, jusqu’au chouquet, et de là dans la hune où il le laisse entre les mains de ses camarades. Il redescend immédiatement rejoindre sa corvée.

Ce haut fait attribué à Jean Valjean sert de préface à l’évasion du forçat.

Nous avons terminé ce qui concerne Jean Valjean.

Quant à Fantine, on connaît le récit intitulé : Origine de Fantine, daté de 1841 et publié dans Choses vues. Victor Hugo avait été le témoin d’une agression. Un soir, un jeune homme plantait dans le dos d’une fille une poignée de neige ; la fille s’étant défendue fut conduite au poste ; accusée par les agents, elle aurait été infailliblement incarcérée et condamnée si Victor Hugo n’avait obtenu pour elle la liberté en déposant comme témoin des faits qui s’étaient passés devant lui.

Marius, tout d’abord Thomas, était-il, comme on l’a dit généralement, Victor Hugo lui-même ?

Ce serait peut-être outrepasser les intentions de l’auteur. Ce qui est vrai, c’est que Victor Hugo a appliqué à Marius quelques-uns des souvenirs de sa jeunesse, et quand il nous présentait son héros habitant une pauvre petite chambre, vivant misérablement, supportant vaillamment les épreuves, puisant dans le malheur de nouvelles forces pour lutter contre la destinée, il se reportait à ces heures douloureuses qui suivirent la mort de sa mère, quand seul, désemparé, il était obligé de gagner sa vie, n’ayant plus le véritable ami qui fut le confident de sa détresse, et sur qui il pût reporter « sa faculté d’aimer ». Mais le cœur de Marius s’ouvre à l’amour, Cosette lui apparaît comme un ange déployant ses ailes blanches dans un rayon d’aurore ; et cette idylle fraîche, rêveuse, un peu mélancolique, sera comme un écho des Lettres à la fiancée. Il ne veut pas seulement aimer, il veut mériter cet amour par le travail ; Victor Hugo écrira à Adèle Foucher qu’il a été chargé d’un rapport académique, le rapport sur Gil Blas qui lui fut demandé par François de Neufchâteau ; plus tard Marius, en pensant à Cosette, dira : « Elle ne pourrait s’empêcher d’avoir de l’estime et de la considération pour moi si elle savait que c’est moi qui suis le véritable auteur de la dissertation sur Marcos Obregon de la Ronda que monsieur François de Neufchâteau a mise, comme étant de lui, en tête de son édition de Gil Blas ».

Si on voulait se livrer à un parallèle entre l’idylle du Luxembourg et de la rue Plumet et les Lettres à la fiancée, on trouverait de nombreux rapprochements.

On voit cet amour naître, grandir, sans oser ou sans pouvoir s’avouer, la jalousie s’éveiller brusquement pour une futilité. Se souvient-on de la colère de Victor Hugo reprochant à Adèle de relever sa robe pour ne pas la crotter ? il a éprouvé un supplice en voyant, rue des Saints-Pères, des passants détourner la tête pour jeter un coup d’œil impudent ; il s’est retenu pour ne pas les souffleter, mais il ne répond pas de lui une autre fois. Se souvient-on de Marius furieux, alors qu’un souffle de vent soulève