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NOTES DE L’ÉDITEUR.

de nombreux discours ; après la dissolution de l’Assemblée constituante, il est élu à l’Assemblée législative en 1849, et il intervient encore dans les débats. Cependant, dans le courant de 1851, il revient à son roman, ainsi que l’atteste la mention suivante inscrite sur une chemise :


Cela contient le manuscrit des Misères jusqu’à ce jour 31 août 1851, je me prépare à le reprendre après 3 ans et 6 mois d’interruption pour cause de révolution.


Il paraît certain, à en juger par l’écriture du manuscrit, qu’à cette époque il écrivit plusieurs pages de son roman. Mais le coup d’État devait, dans cette même année, l’exiler.

On lira dans l’historique de Napoléon-le-Petit et de l’Histoire d’un Crime le récit de son départ pour Bruxelles et tous les détails sur son séjour en Belgique, Nous ne parlerons ici que de l’allusion qu’il fait à son roman dans une lettre du 14 décembre 1851 adressée à Mme  Victor Hugo.

Après avoir indiqué à sa femme comment il avait pu quitter la France, il lui raconte la visite que le ministre belge, Charles Rogier, lui a rendue. Il n’a pas caché au ministre son intention de publier un livre sur le deux décembre à la condition toutefois que cette publication historique n’aggraverait pas le sort de ses fils qui étaient alors détenus à la Conciergerie pour délits de presse, et il interroge Mme  Victor Hugo :


Dis-moi ce que tu en penses. Si un écrit de moi peut avoir quelque inconvénient pour eux, je me tairai. En ce cas-là, je me bornerai à finir ici mon livre des Misères. Qui sait ? C’était peut-être la seule chance de le finir.


Mais ceux qui connaissaient l’âme fortement trempée de Charles et de François-Victor Hugo, la vaillance et l’énergie de leur mère, savaient que leurs convenances personnelles s’inclineraient toujours devant le devoir que Victor Hugo avait à remplir envers son pays et envers son parti. Et désormais il n’est plus question de roman, de poésie, mais seulement de son Napoléon-le-Petit, de son Histoire du deux-décembre, de ses Châtiments.

Au moment où Victor Hugo publiait en brochure sa Lettre à lord Palmerston, secrétaire d’État de l’intérieur en Angleterre, le 11 février 1854, il faisait annoncer sur la couverture la quinzième édition de Napoléon-le-Petit et les Châtiments, et en même temps paraissait un avis des éditeurs énumérant les publications prochaines : le Crime du deux-décembre, les Contemplations en deux volumes, les Petites Épopées en un volume et le roman les Misérables, trois parties, six volumes. C’est à cette époque que le roman prenait son titre définitif.

Les éditeurs ajoutaient :


De ces divers ouvrages, un seul, l’Histoire du crime du 2 décembre, touche aux hommes et aux choses de la politique actuelle, les autres appartiennent à la littérature pure et à la philosophie sociale. Cette dernière observation s’applique en particulier au roman intitulé : les Misérables. Ce livre commencé en 1848, interrompu par la révolution de février pour être achevé dans l’exil, du reste absolument étranger aux faits politiques immédiats, est, dans la pensée de l’auteur, sous la forme drame et roman, une sorte d’épopée sociale de la misère.


Les éditeurs commettaient une erreur de date puisque Victor Hugo avait commencé son roman en 1845, comme le mentionne le manuscrit ; mais on découvre déjà la préoccupation de calmer à l’avance les susceptibilités du régime impérial en indiquant nettement que l’œuvre n’était pas politique, qu’elle était exclusivement sociale. C’était un moyen de détourner les foudres de la censure, et cette précaution s’imposait après la publication de Napoléon-le-Petit et des Châtiments.