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III

CONNIVENCE DES HOMMES ET DES FORÊTS.

Les tragiques forêts bretonnes reprirent leur vieux rôle et furent servantes et complices de cette rébellion, comme elles l’avaient été de toutes les autres.

Le sous-sol de telle forêt était une sorte de madrépore percé et traversé en tous sens par une voirie inconnue de sapes, de cellules et de galeries. Chacune de ces cellules aveugles abritait cinq ou six hommes. La difficulté était d’y respirer. On a de certains chiffres étranges qui font comprendre cette puissante organisation de la vaste émeute paysanne. En Ille-et-Vilaine, dans la forêt du Pertre, asile du prince de Talmont, on n’entendait pas un souffle, on ne trouvait pas une trace humaine, et il y avait six mille hommes avec Focard ; en Morbihan, dans la forêt de Meulac, on ne voyait personne, et il y avait huit mille hommes. Ces deux forêts, le Pertre et Meulac, ne comptent pourtant pas parmi les grandes forêts bretonnes. Si l’on marchait là-dessus, c’était terrible. Ces halliers hypocrites, pleins de combattants tapis dans une sorte de labyrinthe sous-jacent, étaient comme d’énormes éponges obscures d’où, sous la pression de ce pied gigantesque, la révolution, jaillissait la guerre civile.

Des bataillons invisibles guettaient. Ces armées ignorées serpentaient sous les armées républicaines, sortaient de terre tout à coup et y rentraient, bondissaient innombrables et s’évanouissaient, douées d’ubiquité et de dispersion, avalanche, puis poussière, colosses ayant le don du rapetissement, géants pour combattre, nains pour disparaître. Des jaguars ayant des mœurs de taupes.

Il n’y avait pas que les forêts, il y avait les bois. De même qu’au-dessous des cités il y a les villages, au-dessous des forêts il y avait les broussailles. Les forêts se reliaient entre elles par le dédale, partout épars, des bois. Les anciens châteaux qui étaient des forteresses, les hameaux qui étaient des camps, les fermes qui étaient des enclos faits d’embûches et de pièges, les métairies, ravinées de fossés et palissadées d’arbres, étaient les mailles de ce filet où se prirent les armées républicaines.

Cet ensemble était ce qu’on appelait le Bocage.

Il y avait le bois de Misdon, au centre duquel était un étang, et qui était à Jean Chouan ; il y avait le bois de Gennes qui était à Taillefer ; il y avait le bois de la Huisserie, qui était à Gouge-le-Bruant ; le bois de la Charnie qui