Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/215

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Tellmarch maintenant voulait faire parler cette malheureuse ; il n’y réussissait pas. Une fois, il lui dit :

— Par malheur, je suis vieux, et je ne marche plus. J’ai plus vite trouvé le bout de ma force que le bout de mon chemin. Après un quart d’heure, mes jambes refusent, et il faut que je m’arrête ; sans quoi je pourrais vous accompagner. Au fait, c’est peut-être un bien que je ne puisse pas. Je serais pour vous plus dangereux qu’utile ; on me tolère ici ; mais je suis suspect aux bleus comme paysan et aux paysans comme sorcier.

Il attendit ce qu’elle répondrait. Elle ne leva même pas les yeux.

Une idée fixe aboutit à la folie ou à l’héroïsme. Mais de quel héroïsme peut être capable une pauvre paysanne ? d’aucun. Elle peut être mère, et voilà tout. Chaque jour elle s’enfonçait davantage dans sa rêverie. Tellmarch l’observait.

Il chercha à l’occuper ; il lui apporta du fil, des aiguilles, un dé ; et en effet, ce qui fit plaisir au pauvre caimand, elle se mit à coudre ; elle songeait, mais elle travaillait, signe de santé ; les forces lui revenaient peu à peu ; elle raccommoda son linge, ses vêtements, ses souliers ; mais sa prunelle restait vitreuse. Tout en cousant elle chantait à demi-voix des chansons obscures. Elle murmurait des noms, probablement des noms d’enfants, pas assez distinctement pour que Tellmarch les entendît. Elle s’interrompait et écoutait les oiseaux, comme s’ils avaient des nouvelles à lui donner. Elle regardait le temps qu’il faisait. Ses lèvres remuaient. Elle se parlait bas. Elle fit un sac, et elle le remplit de châtaignes. Un matin Tellmarch la vit qui se mettait en marche, l’œil fixé au hasard sur les profondeurs de la forêt.

— Où allez-vous ? lui demanda-t-il.

Elle répondit :

— Je vais les chercher.

Il n’essaya pas de la retenir.