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LE BOIS DE LA SAUDRAIE.

En moins d’une minute le point où l’on avait remué fut cerné, un cercle de fusils braqués l’entoura ; le centre obscur du hallier fut couché en joue de tous les côtés à la fois, et les soldats, le doigt sur la détente, l’œil sur le lieu suspect, n’attendirent plus pour le mitrailler que le commandement du sergent.

Cependant la vivandière s’était hasardée à regarder à travers les broussailles, et, au moment où le sergent allait crier : Feu ! cette femme cria : Halte !

Et se tournant vers les soldats : — Ne tirez pas, camarades !

Et elle se précipita dans le taillis. On l’y suivit.

Il y avait quelqu’un là en effet.

Au plus épais du fourré, au bord d’une de ces petites clairières rondes que font dans les bois les fourneaux à charbon en brûlant les racines des arbres, dans une sorte de trou de branches, espèce de chambre de feuillage, entr’ouverte comme une alcôve, une femme était assise sur la mousse, ayant au sein un enfant qui tétait et sur ses genoux les deux têtes blondes de deux enfants endormis.

C’était là l’embuscade.

— Qu’est-ce que vous faites ici, vous ! cria la vivandière.

La femme leva la tête.

La vivandière ajouta, furieuse :

— Êtes-vous folle d’être là !

Et elle reprit :

— Un peu plus, vous étiez exterminée !

Et, s’adressant aux soldats, la vivandière ajouta :

— C’est une femme.

— Pardine, nous le voyons bien ! dit un grenadier.

La vivandière poursuivit :

— Venir dans les bois se faire massacrer ! a-t-on idée de faire des bêtises comme ça !

La femme stupéfaite, effarée, pétrifiée, regardait autour d’elle, comme à travers un rêve, ces fusils, ces sabres, ces bayonnettes, ces faces farouches.

Les deux enfants se réveillèrent et crièrent.

— J’ai faim, dit l’un.

— J’ai peur, dit l’autre.

Le petit continuait de téter.

La vivandière lui adressa la parole.

— C’est toi qui as raison, lui dit-elle.

La mère était muette d’effroi.

Le sergent lui cria :

— N’ayez pas peur, nous sommes le bataillon du Bonnet-Rouge.