Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/347

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— J’ajoute qu’étant le chef, je devais l’exemple, et qu’à votre tour, étant les juges, vous le devez.

— Quel exemple demandez-vous ?

— Ma mort.

— Vous la trouvez juste ?

— Et nécessaire.

— Asseyez-vous.

Le fourrier, commissaire-auditeur, se leva et donna lecture, premièrement, de l’arrêté qui mettait hors la loi le ci-devant marquis de Lantenac ; deuxièmement, du décret de la Convention édictant la peine capitale contre quiconque favoriserait l’évasion d’un rebelle prisonnier. Il termina par les quelques lignes imprimées au bas de l’affiche du décret, intimant défense « de porter aide et secours » au rebelle susnommé « sous peine de mort », et signées : Le commandant en chef de la colonne expéditionnaire, Gauvain.

Ces lectures faites, le commissaire-auditeur se rassit.

Cimourdain croisa les bras et dit :

— Accusé, soyez attentif. Public, écoutez, regardez, et taisez-vous. Vous avez devant vous la loi. Il va être procédé au vote. La sentence sera rendue à la majorité simple. Chaque juge opinera à son tour, à haute voix, en présence de l’accusé, la justice n’ayant rien à cacher.

Cimourdain continua :

— La parole est au premier juge. Parlez, capitaine Guéchamp.

Le capitaine Guéchamp ne semblait voir ni Cimourdain, ni Gauvain. Ses paupières abaissées cachaient ses yeux immobiles fixés sur l’affiche du décret et la considérant comme on considérerait un gouffre. Il dit :

— La loi est formelle. Un juge est plus et moins qu’un homme ; il est moins qu’un homme, car il n’a pas de cœur ; il est plus qu’un homme, car il a le glaive. L’an 414 de Rome, Manlius fit mourir son fils pour le crime d’avoir vaincu sans son ordre. La discipline violée voulait une expiation. Ici, c’est la loi qui a été violée, et la loi est plus haute encore que la discipline. Par suite d’un accès de pitié, la patrie est remise en danger. La pitié peut avoir les proportions d’un crime. Le commandant Gauvain a fait évader le rebelle Lantenac. Gauvain est coupable. Je vote la mort.

— Écrivez, greffier, dit Cimourdain.

Le greffier écrivit : « Capitaine Guéchamp : la mort. »

Gauvain éleva la voix :

— Guéchamp, dit-il, vous avez bien voté, et je vous remercie.

Cimourdain reprit :

— La parole est au deuxième juge. Parlez, sergent Radoub,