Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/355

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chesses ; vous jetez l’engrais à l’égout, jetez-le au sillon. Les trois quarts du sol sont en friche, défrichez la France, supprimez les vaines pâtures ; partagez les terres communales. Que tout homme ait une terre, et que toute terre ait un homme. Vous centuplerez le produit social. La France, à cette heure, ne donne à ses paysans que quatre jours de viande par an ; bien cultivée, elle nourrirait trois cents millions d’hommes, toute l’Europe. Utilisez la nature, cette immense auxiliaire dédaignée. Faites travailler pour vous tous les souffles de vent, toutes les chutes d’eau, tous les effluves magnétiques. Le globe a un réseau veineux souterrain, il y a dans ce réseau une circulation prodigieuse d’eau, d’huile, de feu ; piquez la veine du globe, et faites jaillir cette eau pour vos fontaines, cette huile pour vos lampes, ce feu pour vos foyers. Réfléchissez au mouvement des vagues, au flux et reflux, au va-et-vient des marées. Qu’est-ce que l’océan ? une énorme force perdue. Comme la terre est bête ! ne pas employer l’océan !

— Te voilà en plein songe.

— C’est-à-dire en pleine réalité.

Gauvain reprit :

— Et la femme ? qu’en faites-vous ?

Cimourdain répondit :

— Ce qu’elle est. La servante de l’homme.

— Oui. À une condition.

— Laquelle ?

— C’est que l’homme sera le serviteur de la femme.

— Y penses-tu ? s’écria Cimourdain, l’homme serviteur ! jamais. L’homme est maître. Je n’admets qu’une royauté, celle du foyer. L’homme chez lui est roi.

— Oui. À une condition.

— Laquelle ?

— C’est que la femme y sera reine.

— C’est-à-dire que tu veux pour l’homme et pour la femme…

— L’égalité.

— L’égalité ! y songes-tu ? les deux êtres sont divers.

— J’ai dit l’égalité. Je n’ai pas dit l’identité.

Il y eut encore une pause, comme une sorte de trêve entre ces deux esprits échangeant des éclairs. Cimourdain la rompit.

— Et l’enfant ! à qui le donnes-tu ?

— D’abord au père qui l’engendre, puis à la mère qui l’enfante, puis au maître qui l’élève, puis à la cité qui le virilise, puis à la patrie qui est la mère suprême, puis à l’humanité qui est la grande aïeule.

— Tu ne parles pas de Dieu.