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Toute la révolution, rien que la révolution, voilà Danton et Robespierre. Toute la révolution, c’est Danton ; rien que la révolution, c’est Robespierre.

Marat est autre.

Robespierre et Danton, chacun à leur façon, veulent ; Marat hait.

Marat n’appartient pas spécialement à la révolution française ; Marat est un type antérieur ; profond et terrible. Marat, c’est le vieux spectre immense. Si vous voulez savoir son vrai nom, criez dans l’abîme ce mot : Marat, l’écho, du fond de l’infini, vous répondra : Misère !

Le gouffre, questionné sur Marat, sanglote.

Marat est un malade.

Malade de quelle maladie ? De l’antique maladie du genre humain. Malade de la fatalité. Malade de la souffrance. Malade de la famine. Malade de la guenille. Malade du grabat.

Tous les jacques, tous les pauvres, tous les maigres concentrés dans un squelette vivant, voilà Marat.

Marat n’est pas seulement malade, il est malsain. Il cherche à donner son mal. Il y a de l’hydrophobie en lui. Une rage inouïe lui tient lieu d’intelligence. Le propre de cette rage, qui n’est autre chose qu’un total de désespoirs, c’est, même rassasiée, de ne pas s’éteindre, et, après avoir dévoré, de continuer à mordre.

Marat a Louis xvi. Après Louis xvi, il lui faudrait Vergniaud, après Vergniaud, Danton, après Danton, Robespierre ; après Robespierre, que faudrait-il à Marat ? Marat.

Sur le radeau de détresse, est-ce que la misère n’en vient pas à dévorer la misère ?

Mais une question. Question étrange. La révolution étant donnée, de quel droit Marat y représentait-il la misère ?

De quel droit représentait-il l’ignorance, lui savant ? De quel droit représentait-il les bras nus et les pieds nus, lui médecin bien payé ? De quel droit représentait-il la haine des princes, lui officier de la maison d’Artois ?

Était-ce donc un hypocrite ? non. Jouait-il un rôle ? non. Avait-il un masque ? non.

Marat, c’est la conviction ; Marat, c’est la probité épouvantable ; Marat, c’est le tigre ayant foi. Il est incorruptible comme le bronze de son cœur. Marat croit. Marat n’a pas souffert, et pourtant il est la souffrance ; on ne lui a pas fait de mal, et pourtant il se venge. Il se venge de quoi ? de tout le mal qu’on a fait au genre humain. Où ? partout. Quand ? toujours. Quant à lui, il n’a pas à se plaindre, et il écume.

Mais il est donc une autre personne que lui-même ? est-ce possible ? Comment cela se fait-il ? Ici de certains côtés effrayants du mystère se laissent entrevoir, et l’intuition révèle ce pourquoi qui échappe à la raison. Les apocalypses révolutionnaires sont des palingénésies. Dans toutes les époques qui sont des résultantes, toutes les incarnations sont requises par le besoin des événements ; la nuée est profonde, les langues de feu du gouffre volent, des âmes redoutables cherchant des corps, errent au-dessus des multitudes, ces âmes sont des idées, elles flottent dans l’ombre,