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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

que, si on les attaque, elles se défendront jusqu’à refaire la barbarie autour d’elles, que, si on les laisse faire, elles feront la civilisation. Car elles sont formidables et pacifiques ; elles découlent de la révolution et de l’évangile ; elles tiennent à la fois de Robespierre et de Jésus.

Restons donc en repos. N’agitons rien, ne provoquons pas, ne remettons aucun point du passé en question. Attendons l’avenir qui est évidemment pour nous, et en attendant, faisons la révolution de juillet bonne personne. D’ailleurs, pas de finances, pas d’arsenaux, pas de flotte, pas d’armée, un contre dix, quelle guerre ferions-nous ?

Les impatients hardis répondaient :

— Quoi ! Après avoir chasse Charles X, après avoir balayé les Bourbons, les vieilleries, l’arbitraire, l’ancien régime, au moment où les peuples pleins de joie et d’enthousiasme ont les yeux sur nous et disent : Voilà la grande France qui recommence les grandes choses, reculer ![1]                     le bât de l’Europe, subir les traités de Vienne, accepter la frontière que nous a faite 1815, ne pas reprendre le Rhin, la Belgique, le Piémont, ne pas rentrer dans nos limites naturelles, ne pas tendre la main à la Pologne, à la Lombardie, à Naples, à l’Espagne et à l’Irlande par-dessus la tête de l’Angleterre, manquer aux espérances des peuples, mentir à notre mission, mettre le drapeau tricolore dans notre poche, respecter le lion de Waterloo, prendre des biais, baisser la voix, mettre les pouces, patienter, fléchir, plier, trembler ! ah !

Faire la révolution de juillet petite, c’est une faute ! faire la France lâche, c’est un crime ! Nous n’avons pas d’armée, mais nous avons les peuples, nous n’avons pas de finances, mais nous avons la révolution. Pour marcher il suffit d’avoir des pieds, il n’est pas nécessaire d’avoir des souliers. La jeune armée d’Italie l’a prouve sous Bonaparte. D’ailleurs les rois sont pris au dépourvu comme nous, autant que nous, plus que nous ! Avançons, ils recaleront. Prenons ce qui est à nous et donnons à tous les peuples ce qui est à eux. Dans tout cela il n’y aura que les rois de dépouillés. Tout le monde gagnera, excepté les couronnes. Nous avons pour nous, à défaut d’armée organisée, une immense force morale, la sympathie universelle, l’enthousiasme, l’espérance, la confiance des nations, l’attente des opprimés. Nous ne serons pas les étrangers, nous serons les libérateurs. La marche sur Rambouillet, recommençons-la, faisons-la sur Milan et sur Vienne. Nous n’avons qu’un pas à faire. Les rois céderont et lâcheront pied. Quoi ! laisser échapper cette occasion de redevenir la grande et fière et puissante France, centre des peuples, foyer des idées, appui des faibles, assez forte pour délivrer l’Europe et assez haute pour la dominer ! Quoi ! les rois sont là tout pâles autour de nous ! Ce sont eux qui tremblent et c’est nous qui avons peur !



Le deuxième fragment, développant les objections que le parti libéral monarchique opposait au parti républicain, est la suite, inédite, de la version écrite en 1848 et dont le commencement se trouve page ii de ce volume.

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