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HISTORIQUE DES MISÉRABLES.

jours avec la ferme espérance qu’il finira bien par posséder les Misérables. Mais Victor Hugo ne veut évidemment pas s’engager et garde le silence.

Hetzel revient à la charge en mai 1861 :


Vous n’avez pas répondu à mes agaceries relativement aux Misérables. Je vous avais dit qu’allant en Allemagne, où je trouverai toute la librairie des 37 états rassemblée, je pourrais préparer les voies à une traduction.

Cela devait pourtant vous intéresser. Est-ce que les bruits qu’on m’a racontés avec complaisance à Paris, qu’un blanc-seing vous avait été envoyé à Guernesey pour cette affaire, est-ce que ces bruits vous imposent le silence à l’égard de votre ami et fermier ?

Je ne le crois pas possible.

Je sais d’ailleurs qu’en fait de blanc-seing on n’en a jamais donné que pour envoyer les poètes à la Bastille. Je ne m’étonne pas que d’autres poètes aient pris des offres, des demandes d’acheter pures et simples, pour des lettres de crédits illimités. La légende se met aux grandes choses dès leur vivant.

Quoi qu’il en soit, cher maître, j’espère toujours qu’animé de mes bonnes intentions, qu’assuré que votre intérêt m’est aussi cher que le mien, je trouverai le joint de nos deux intérêts à côté et par-dessus tout ce qui pourrait vous être proposé. Je me suis mis en mesure de faire tout ce que d’autres pourraient faire — qui ne serait pas de la folie.

Que si quelque monarque des gros sous voulait trouver dans cette affaire une raison de payer à votre égard les dettes de la France, je n’y trouverais point à redire cependant. Je n’ai pu qu’essayer, moi, de payer, dans un effort commun, notre pain de l’exil et suis encore bien heureux d’y être parvenu.


Hetzel est inquiet, les monarques des gros sous lui font peur, et le mutisme de Victor Hugo le trouble profondément. Il cherche tous les prétextes déparier des Misérables ; il a lu dans un journal une histoire qu’il qualifie lui-même de cancan, mais il s’en empare avec empressement. C’est une bonne occasion pour continuer la conversation et faire échec aux rois de l’argent.


On me montre une correspondance du journal le Nord qui dit que j’ai acheté les Misérables, un roman de Lamartine, un autre de Sand, et qu’armé ainsi je vais faire une revue. C’est un pur cancan, où il n’y a malheureusement de vrai que ce qui ne concerne ni vous, ni la revue et qui vient je ne sais d’où.

Comme le journal qui a dit cette histoire est peu lu, je ne crois pas utile de rien relever.

J’espère bien d’ailleurs faire une vérité de ce cancan en ce qui concerne les Misérables et, sinon les Misérables, vos drames et comédies.

Faites-moi, je vous prie, mon cher ami et maître, une rentrée éclatante, aidez-moi d’un beau livre pour arriver, et vous verrez comme je nous gagnerai de l’argent.

…Les tiendrai-je ces misérables Misérables, puis-je l’espérer. ?

Ne pourriez-vous me dire tout d’abord vos idées à ce sujet ? Je préparerais les voies et moyens avant d’arriver.

Pour quelle époque seriez-vous prêt ?

Il faudrait, pour bien faire, traiter au printemps et paraître à l’automne.

…Pour les Misérables, ne pourrait-on publier par trois séries de deux volumes ayant chacun leur titre général — les Misérables — et leur titre spécial ? Cela aiderait : 1° à s’arranger avec Renduel ; 2° cela serait propice à la vente que six volumes, même ceux-là, peuvent surcharger plus que trois séries.

Comprenez-moi bien. Ces six volumes paraîtraient tous successivement ou ensemble, mais une fois l’ouvrage fait on pourrait vendre série par série pour faire trois trous dans les poches qui auraient peur de s’ouvrir pour un seul.

Il serait bon que vous m’écrivissiez. Car pour un roman les traductions peuvent devenir une affaire, et si j’étais prévenu, comme j’irai à Leipzig avant d’aller à Guernesey et à Londres aussi, je pourrais prendre langue déjà et préparer les voies pour l’Allemagne et Londres.


Hetzel posait plus que des jalons ; il se figurait volontiers qu’il était possesseur des Misérables, et, voulant fortifier sa conviction, il prenait déjà ses dispositions en vue de la vente des volumes en