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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome V.djvu/411

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HISTORIQUE DES MISÉRABLES.

et Bruxelles, Paris représenté par Paul Meurice, Auguste Vacquerie, Pagnerre ; Bruxelles représenté par Lacroix seul qui prend des allures de podestat. Or Lacroix a tout arrangé, tout combiné, tout organisé pour le 4 avril, et le 30 mars il apprend par une lettre de Paul Meurice que la mise en vente ne pourra avoir lieu à Paris que le 7. Pour le coup, il s’agite comme un possédé, il écrit à Victor Hugo, il écrit à Paul Meurice, il expose toutes les bonnes raisons qui s’opposent à un ajournement avec cette impétuosité habituelle qui ne trouble plus d’ailleurs nos parisiens. Après tout, se disait-on à Paris, il n’y a désaccord entre Lacroix et nous que pour trois jours, la belle affaire ! Lacroix est un homme avisé, il sait que notre publicité dans les journaux est organisée pour le 7 et se résignera à attendre. Qui pourrait en douter ? Aussi, à Paris, on se préparait, en toute tranquillité et en toute sécurité, à mettre en vente la première partie le 7 avril. Vacquerie et Paul Meurice choisissaient les bonnes feuilles qu’ils allaient remettre dans quelques jours aux journaux ; Claye achevait l’impression et s’occupait du brochage, Pagnerre débarrassait ses magasins pour recevoir les piles de volumes, et tout à coup une bombe, une formidable bombe éclate : aussitôt effarement, consternation, affolement. C’est un beau et unanime élan de colère contre Lacroix. Que s’était-il donc passé ?

Noël Parfait était accouru chez Paul Meurice et lui avait dit aussitôt :

— Vous savez la nouvelle ? les Misérables ont paru.

— C’est impossible.

— Je les ai vus.

— Où ?

— Entre les mains de Siraudin.

— Et comment Siraudin…

— Il les a achetés à Bruxelles hier.

Les Misérables à Paris, Siraudin colportant cet exemplaire partout ! Quelle aventure ! quel journaliste parisien voudra désormais publier des fragments d’un volume que la Belgique détient avant Paris ?

L’histoire à distance peut paraître assez plaisante, mais elle était grosse de conséquences, elle risquait d’amener la conspiration du silence dans les journaux. Car enfin si un exemplaire était entre les mains de Siraudin, il y avait de grandes chances pour que d’autres exemplaires fussent en d’autres mains. En effet Lacroix avait fait son petit coup d’état, il avait brusqué la publication à Bruxelles. Cet exemplaire de Siraudin avait mis le feu à toutes les poudres, à la librairie, à l’imprimerie. Paul Meurice, Vacquerie, Pagnerre, Claye étaient sur les dents. On était au 31 mars, il fallait, à tout prix, coûte que coûte, paraître le 3 avril, et en trois jours faire la besogne de sept jours.

Mme Victor Hugo raconte à son mari d’une manière pittoresque ces allées et venues, ces courses, ces conversations, ces visites. C’est un tableau plein de vie et on peut le dire, plein de mouvement. Voici un fragment de cette lettre :


[31 mars 1862.]

Auguste[1] nous apprend que les Misérables paraissent sous trois jours. Étonnement mêlé de satisfaction. Auguste me raconte qu’ils comptaient faire paraître les Misérables le 7 avril ; que le matin Parfait était accouru effaré chez Meurice lui dire qu’il sortait de voir aux mains de Siraudin un exemplaire des Misérables qu’il avait acheté la veille à Bruxelles ; qu’il venait d’avertir Pagnerre. Pagnerre ahuri et désolé s’était précipité aussitôt chez Meurice, la vente était pour lui déflorée et manquée. Les journaux de Paris ne se soucieraient pas d’annoncer le livre et de faire des citations après les journaux belges et de devenir leur déversoir et leur succursale. L’effet attendu ne pourrait avoir lieu. Pagnerre était atterré, Meurice consterné. C’était déjà difficile de paraître le 7. — Il faut faire l’impossible, avait dit Mme Meu-

  1. Auguste Vacquerie.