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HISTORIQUE DES MISÉRABLES.

l’évidence — faites-le pour les Misérables sinon pour nous — je vous le confirme : une maison vaste, bien aérée, à côté du Parc, avec vue sur le Parc — sans bruit — vous est réservée. Oui, venez, venez, il le faut. Un retard compromettrait tout et nous ne pouvons garantir rien sans votre présence…

J’ai voulu vous annoncer votre éclatante victoire simultanée en tous pays le jour même de la mise en vente à Paris, à Bruxelles, à Londres, à Milan, à Naples, à Saint-Pétersbourg. Ce succès me rend heureux et rayonnant pour vous autant que pour nous-mêmes. — Ma plume est bien mauvaise et rend illisible mon écriture, mais je tenais à vous raconter en hâte ce succès magnifique et à joindre aussi de loin mon acclamation à l’acclamation universelle.


Un autre éditeur voulait aussi joindre son acclamation, c’était Hetzel. Hetzel pouvait avoir quelque chagrin de n’être pas parmi les vainqueurs, pourtant, le 3 avril, il écrit une lettre pleine d’une affectueuse bonne humeur :


Je veux que vous sentiez que personne ne jouira plus que moi de votre succès. C’est une bataille irrésistiblement gagnée, car après ce second volume-là on mettrait sa culotte et ce qu’elle contient, moins sa tête et ses yeux, au mont-de-piété pour pouvoir se procurer le reste.


Mme Victor Hugo complétait à son tour les renseignements sur le dîner du 3 avril chez Paul Meurice dans une lettre datée du 6 avril :


Nous dînions jeudi chez Mme Meurice… Des invités, il n’y avait donc, en dehors de nous, que Saint-Victor, Lacroix et Pagnerre ; tous nos éditeurs, dis-je à Meurice. — Oui, ce dîner est en l’honneur des Misérables. Il était sept heures du soir, il n’y avait pas de lumière dans le salon, le visage jubilant de Lacroix et de Pagnerre éclairait la pièce crépusculaire. — Les Misérables paraissent bien, interrogeai-je ? — Il y avait, Madame, répond Pagnerre, gonflant ses grasses joues, 3,500 exemplaires dans les mains des lecteurs à quatre heures du soir. Pagnerre et Lacroix, assis l’un près de l’autre à dîner, se renvoyaient des sourires de marchands satisfaits. On était content et bienveillant ; Lacroix, absous, a plu à Auguste.

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…Je sortais avant-hier et mangeais deux petits pâtés chauds, place de la Bourse, quelqu’un me prend le bras, c’était Hetzel. — Je vous tiens, dit-il, faisons quelques pas ensemble. Je viens de lire les Misérables ; c’est merveilleux, d’une adresse de singe ; il va sans dire que les amis seront contents, mais les récalcitrants aussi. J’ai vu Lacroix, et lui ai dit qu’il volait votre mari, que l’ouvrage valait six cent mille francs. Si je l’avais connu, m’a repris Hetzel, j’aurais trouvé ce prix. Hetzel qui a été du National et pour Ponsard n’a pas foi dans le grand, et attend le lendemain pour croire au succès de ce qui dépasse son horizon, mais il est délicat et du monde, à tout prendre un artiste et peu marchand. Il m’a dit tristement : Lacroix sera l’éditeur de votre mari, moi je serai toujours son ami.

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Auguste écrit, je crois, de son côté. Il dira que l’édition est à peu près épuisée, et le serait complètement si Pagnerre n’avait haussé ses prix pour les libraires débitants. Mme Pagnerre, cette veuve blême, est transformée en soleil.


Le 10 avril, l’associé de Lacroix, Verboeckhoven, annonce que l’édition est épuisée à Paris et à Bruxelles, qu’on en tire une nouvelle chez Claye.

Le 12 avril, Victor Hugo dit dans ses carnets :


Les Misérables sont à la 3e édition.


Le 13 avril Lacroix est revenu de Paris à Bruxelles, il confirme à Victor Hugo l’immense succès des Misérables : plus de 5,000 exemplaires ont été vendus en France et pareil nombre à l’étranger. On manque la vente à Paris et à Bruxelles, et il donne les détails suivants :

Les pays où jusqu’ici la vente a été la plus forte en proportion de la population, sont suivant l’ordre de rang : 1° la Belgique ; 2° la France ; 3° le Portugal ; 4° l’Italie ; 5° l’Angleterre ; 6° l’Allemagne ; 7° l’Espagne où cependant on parle d’une saisie, ce qui serait un triste accident ; 8° la Russie.