Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VI.djvu/341

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
527
HISTORIQUE DES MISÉRABLES.

prime à prix réduit. Rien de mieux. Mais il ne faut pas, je crois, que cette combinaison se fasse ou même s’annonce trop tôt. Avec un bénéfice cent fois moindre, vous auriez l’inconvénient que je vous signalais pour la publication en feuilleton. »

M. Paul Meurice a cent fois raison. Ne mêlez pas de journal à cette affaire, si vous ne voulez pas tout perdre. En prime ou en feuilleton, le danger dont nous avons tant parlé est le même. Quand le livre aura paru en entier, vous ferez ce que vous voudrez. Vous n’aurez plus rien à craindre, il circulera librement. Si donc vous faites quelque combinaison du genre de celle qu’indique M. P. Meurice, ajournez-la jusqu’après la publication totale du livre. Ceci est la condition expresse de votre réussite. N’innovez pas dans le mode de publier en France un livre de moi. Suivez le chemin battu qui a réussi aux Contemplations et à la Légende des Siècles.

Je ne saurais, monsieur, trop insister sur ceci, que je recommande à votre excellent et sage esprit.


En janvier 1862, Victor Hugo ignorait encore quelle serait la véritable étendue de son œuvre. Il ne pouvait fixer le nombre des volumes et n’avait pas encore définitivement arrêté leurs divisions. Il avait cependant pris une résolution, c’est que chaque partie devait avoir deux volumes.

Lacroix, qui considérait que chaque volume serait alors trop compact et nécessiterait de plus gros frais de papier et d’impression, voulait diviser la première partie en trois volumes :


Je regrette, écrit Victor Hugo le 9 janvier, que, malgré mon observation faite en vous remettant le manuscrit, vous fassiez trois volumes des deux premiers Vous déconcerterez les petites bourses, je le crains. En deux volumes, vous auriez vendu 30,000 exemplaires de la 1re partie, petit format, en un mois. Vos trois volumes feront cher le format bon marché. Je désire vivement me tromper.

Ce que j’ai ajouté sur Waterloo est terminé. Cela commence la seconde partie, et, je crois, portera coup. J’attache le plus grand prix à votre impression. Ce que vous m’écrivez me fait un vif plaisir.


Victor Hugo ouvrait ainsi à Lacroix la voie à la critique.

Lacroix avait admiré Waterloo, et Victor Hugo répondait le 14 janvier à minuit et demi :


Votre gracieuse lettre me fait un vif plaisir. Je compte en effet que ce livre sur Waterloo ira au but.


L’accord le plus parfait régnait entre l’auteur et l’éditeur sur les péripéties dramatiques du livre. Lacroix était rempli d’un bel enthousiasme, et Victor Hugo recevait avec satisfaction l’écho de ces impressions ; les nuages ne s’amoncelaient qu’à propos des épreuves. Ce n’était pas toujours la faute de Lacroix si elles ne parvenaient pas à Guernesey à l’heure dite, et ce n’était pas la faute de Victor Hugo si elles subissaient quelques retards à l’arrivée à Bruxelles. Il y avait la mer, les tempêtes, des paquebots qui ne partaient pas tous les jours, et le dimanche anglais que Victor Hugo maudit particulièrement le 26 janvier :


Admirez le dimanche anglais, la tempête a empêché le packet d’arriver avant ce matin, mais comme c’est dimanche, la distribution ne s’est pas faite, de sorte que j’aurai seulement demain lundi votre envoi que j’aurais dû recevoir hier samedi. Et cette ineptie est régnante, précisément chez le peuple qui dit : Time is money.


Victor Hugo n’est pas content. Est-ce qu’on s’inquiéterait des tempêtes, du dimanche anglais, des départs de paquebots, si les correcteurs, étant plus attentifs, ne lui renvoyaient pas les épreuves avec les mêmes fautes ? Que de voyages on éviterait ! Lacroix saisit le reproche au bond en insinuant que si Victor Hugo était à Bruxelles, toutes ces petites difficultés seraient aisément