Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VII.djvu/352

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Les créatures entrecroisant leurs effluves, c’est la création. Nous sommes en même temps points d’arrivée et points de départ. Tout être est un centre du monde.

Il y a un travail d’ensemble composé de tous les travaux d’isolement entraînés, à l’insu même des travailleurs, vers un but commun par la grande âme centrale unique.


VI

Pas plus que l’immanence de la création, le travail dans cette immanence n’est imaginable. Les possibilités de la puissance sont inconnues. L’homme même ne connaît pas la puissance de l’homme. Le travail humain est déjà une telle force transfigurante qu’on ne peut songer sans éblouissement au travail divin. Une femme pleure, le chimiste Smithson est là, il recueille une goutte de cette eau, et cette larme d’une femme devient une formule chimique, d’où sortira une branche dé la science. Quentin Metzis ou Benvenuto Cellini manient pendant quelques heures un morceau de fer, ils lui laissent leur marque, et voilà ce fer plus précieux que l’or. Byron achète un schelling chez son papetier une bouteille d’encre qu’il revendra cent mille francs à son éditeur. Et nous nous bornons à l’énoncé du résultat matériel ; le résultat moral est bien plus surprenant encore. Un certain travail, s’infiltrant à la masse de métal ou de pierre, à une toile, à une feuille de papier, lui fait subir une telle sublimation que de matière qu’elle était, elle devient idée. Du travail sort une dynamique métaphysique, réfractaire à toute formule, productrice de forces et de valeurs. La mise en œuvre est une seconde création. La première création n’est que la mise en mouvement. Après la sève, l’intelligence. Figurez-vous un papyrus qui devient l’Iliade. Si les Prométhées d’en bas, surprenant et dérobant au créateur son secret, peuvent de telles choses, s’ils les réalisent, que ne réaliseront pas les providences d’en haut ! que ne pourra point le Créateur lui-même ? Quid domini facient, audent cum talia Jures !

Les données de l’activité universelle défient toute nomenclature. Nul moyen de les définir, nul moyen de les circonscrire. Les contraires s’épousent ; les lointains sont des contacts. Ce qui vous semble divorce est mariage. La haine s’achève en amour. Sous le combat il y a le baiser. Tout est coefficient. Vous croyez être à un pôle, vous êtes à l’autre. Jamais l’union n’est plus étroite que là où l’écart semble le plus irrémédiable. La montagne ignore le mouvement, l’infusoire ignore le sommeil. Eh bien, c’est l’infusoire qui fait la montagne. Toute l’Australie est un corail, construit par un insecte.

Partout l’inattendu. Les similitudes ne sont pas moins étranges que les contrastes. Il est extraordinaire que ceci soit pareil à cela. Un phénomène calque l’autre. Dieu se répète. Le Tout-Puissant est le plagiaire du Créateur ;