Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VII.djvu/355

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prophète.

La nature est suspecte dans tous les sens. Son immensité autorise le soupçon. Ce qu’elle fait n’est pas ce qu’elle semble faire ; ce qu’elle veut n’est pas ce qu’elle semble vouloir. Elle met sur l’invisible le masque du visible, de telle sorte que ce que nous ne voyons pas nous manque, et que ce que nous voyons nous trompe. De là les arguments que fournit à l’athéisme la nature, cette plénitude de Dieu. La nature n’a point de franchise. Elle se montre à l’homme à profil perdu. Elle est apparence ; heureusement elle est aussi transparence. Chose étrange, on s’égare peut-être encore moins en la devinant qu’en la calculant. Aristote voit plus loin que Ptolémée. Le rêveur de Stagyre, en affirmant que le mouvement de succession des vents suit le mouvement apparent du soleil, avait presque mis le doigt sur la trouvaille de Galilée. Un mathématicien n’est un savant qu’à la condition d’être aussi un sage. La nature échappe au calcul. Le nombre est un fourmillement sinistre. La nature est l’innombrable. Une idée fait plus de besogne qu’une addition. Pourquoi ? parce que l’idée montre le tout, et que l’addition ne peut faire le total. L’infini, splendide et un, féconde l’intelligence ; les nombres, ces mille-pieds, la dissèquent et la dévorent. Le savant qui se jette dans la fosse aux chiffres ressemble au bramine qui se jette dans la fosse aux vermines. Le calcul obtient certes d’admirables résultats, à la condition de ne point se brouiller avec l’hypothèse. Le petit calcul dédaigne la conjecture ; le grand calcul en tient compte. Le calcul ne peut que multiplier ; l’hypothèse, parfois, crée. Le calcul a pour limite l’exact, l’hypothèse a pour limite l’absolu ; champ bien autrement profond.

Le chiffre se heurte à l’impossible ; il rencontre le 8 renversé, ∞, l’infini ; l’hypothèse ne se heurte qu’au mystère. Chercher la quadrature du cercle est absurde ; chercher la pierre philosophale ne l’est pas.

La vénérable nature, tenue pour sacrée, mais mise en état de suspicion perpétuelle, telle est la loi du magisme antique et de la science moderne, tel est le point de départ de l’esprit de découverte. Les astronomes et les chimistes sont des arracheurs de masques. Un jour, dans le Portique, on demandait : quelle déesse voudriez-voir nue ? Platon répondit : Vénus. Socrate répondit : Isis. Isis, c’est la Vérité. Isis, c’est la Réalité. Dans l’absolu, le réel est identique à l’idéal. Il est Jéhovah, Satan, Isis, Vénus ; il est Pan. Il est la Nature.

La nature est toute en doubles-fonds. Elle est dédaléenne et mêle tous les réseaux de toutes les voies. Pour notre courte vue, ses directions apparentes contrarient ses tendances réelles. Les faits ont un courant intérieur différent du courant de la surface. Un seul être sait le secret de la nature ; c’est celui-là même qui est le secret. Depuis qu’il y a sur la terre des vivants pensifs, la nature est épiée par des regards inquiets, quelquefois même par des regards