Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome VII.djvu/357

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D’autres épouvantes animales, plus étranges encore, font partie de la création. Nous en rencontrerons peut-être dans le courant de ce livre.


VIII

Il y a dans la création un Inconnu. Cet Inconnu a ses raisons. Son pourquoi nous déborde. Il se dépense dans l’effroi comme dans la splendeur. Ses réussites dans le terrible font frémir. Le rêve de l’homme est un essai toujours dépassé par la création ; il y a quelque chose de plus nocturne que le songe, c’est le fait ; la réalité distance le cauchemar. Nos fantômes sont des avortements. La nature après nous, ou avant nous, les crée ; plus complets. À Cayenne, au-dessus des hommes endormis, le vampire vole avec des ailes de chauve-souris. L’Ignoré, l’Invisible, le Possible ; sondez ces trois gouffres. Ne chicanons pas l’illimité. Chicaner n’est pas circonscrire ; nier n’est pas borner. En dépit de notre optimisme, il y a des créatures d’effroi. L’épouvante existe, en chair et en os. Elle est sous nous et sur nous. Même quand nous la touchons, même quand elle nous tient, elle garde son invraisemblance, et à force d’horreur, elle semble hors de l’être. L’inattendu nous guette. Il nous apparaît, il nous saisit, il nous dévore, et c’est à peine s’il nous semble réel. La création est pleine de formations vertigineuses qui nous enveloppent et dont nous doutons. C’est trop de magnificence ou c’est trop de difformité. Ici exubérance d’harmonie, là excès de chaos. Dieu exagère. En bas comme en haut, il va trop loin. Les ondulations de la vitalité sont aussi illimitées et aussi indéfinies que les moires de l’eau. Elles s’emmaillent, se nouent, se dénouent, se renouent. Les zones de la réalité universelle se tordent, au dessus et au dessous de notre horizon, en spirale sans fin. La vie est le prodigieux serpent de l’infini. Ni tête, ni queue, ni commencement, ni achèvement, des anneaux sans nombre. Il y a des anneaux d’astres, et il y a des anneaux d’acarus. Tout se tient. Tout adhère. Comme nous l’avons dit ailleurs, deux babels en sens inverse, l’une plongeant, l’autre montant, c’est le monde. Ce qui serait surprenant, ce serait que nous le comprissions. Tout au plus arrivons-nous à le conjecturer. Laquelle de nos méthodes de mesurage pourrions-nous appliquer à ce tourbillonnement, qui est l’univers ? En présence des profondeurs, rêver est notre seule puissance. Notre conception, vite essoufflée, ne peut suivre la création, cette immense haleine. Nos hypothèses, qui sont des effarements, considèrent avec stupeur les arborescences inexprimables du possible, et les dilatations de la réalité dans toutes les directions. Dieu arrive à l’inconcevable aussi bien dans le mollusque de la mer que dans l’étoile du ciel. Son excès même nous conduit quelquefois à le nier. L’insondable logarithme de ses combinaisons nous éblouit ou nous révolte, mais, révoltés où éblouis, nous accable. Sa présence