Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome I.djvu/306

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— Jusqu’au fond du sépulcre ! — Allons ! des jours meilleurs
Peut-être reviendront. — Des jours meilleurs ! que dis-je ?
Mon sort depuis quinze ans marche comme un prodige.
Quel souhait ai-je fait qui ne soit accompli ?
Les peuples sous mon joug enfin ont pris leur pli.
Pour être roi demain je n’ai qu’un mot à dire. —
Qu’avais-je donc rêvé de plus dans mon délire ?
Juge, réformateur, conquérant, potentat,
N’ai-je pas mon bonheur ? — Oui, le beau résultat,
De faire ici l’archer qui veille et que l’on paie ! —

Quelle pompe au dehors ! au dedans quelle plaie !
Nouvelle pause.
Cette nuit est glacée ! — Il est bientôt minuit ;

L’heure où de son cercueil chaque spectre s’enfuit,
Montrant au meurtrier sa main de sang rougie,
Sa blessure incurable, et toujours élargie.
Et quelque tache horrible empreinte à son linceul.
— Mais que vais-je rêver ? Ce que c’est qu’être seul !
Suis-je donc un enfant ? — Oh ! que je voudrais l’être !
— Avec ces visions qu’il a fait reparaître,
Ce juif damné me laisse un souvenir d’effroi.
Il m’a bouleversé, je tremble... — Il fait si froid ! —
Si, pour neutraliser ses discours sacrilèges,

Je disais le verset contre les sortilèges ?
Le beffroi commence à sonner lentement minuit.
Tressaillant
Mais quel bruit ?... Le beffroi ! c’est l’instant attendu !
Il écoute.
— Jamais je ne l’avais à cette heure entendu.
C’est comme un glas de mort ! comme une voix qui pleure !
Il s’arrête et écoute encore.
C’est lui qui d’un martyr sonna la dernière heure !
Après les derniers coups de l’horloge.
Minuit ! — et je suis seul ! — Si j’invoquais les saints ?…
Un bruit de pas derrière les arbres.
Ah ! je suis rassuré ! voici mes assassins.