Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome I.djvu/444

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Non. Rien de tout cela. — Maître des potentats,
Ton bras a déplacé la borne des états ;
La foule à ton aspect recule et se resserre ;
Tu tiens comme une proie un monde dans ta serre ;
Voilà tout. — Dans ta marche et dans tes grands combats,
Dieu te soutint d’en haut et le peuple d’en bas.
Tu n’es rien par toi-même. Instrument de colère,
Tu n’es que le fléau qui bat le blé dans l’aire. —
Où sont les dieux d’Émath ? Où sont les dieux d’Ava ?
Que peut Sépharvaïm touché par Jéhovah ?
Ces idoles régnaient : tu passeras comme elles,
Comme un grelot qui pend au long cou des chamelles.
Bientôt dans leur manteau les saints feront un pli.
Gab, Zabulon, Azer, Benjamin, Nephtali
Se tiendront sur le mont Hébal pour te maudire.
Les femmes, les enfants, te suivront de leur rire.
Pour tes pas, pour tes yeux, qu’aveuglera l’enfer,
Le ciel sera de bronze et la terre de fer.
Un lit de pourpre endort tes superbes paupières ;
Mais, Dieu t’écrasera la tête entre deux pierres,
Et nous verrons un jour les peuples enfin grands
Avec tes os blanchis lapider les tyrans.
Car on a vu, Cromwell, sur plus d’un trône impie,
Pharaons de Memphis, sultans d’Éthiopie,
Papes, ducs, empereurs, despotes empourprés,
Se faire un jeu sanglant des peuples torturés.
Mais dans tous ces fléaux dont le Seigneur nous frappe,
Cromwell, un homme, un mage, un monarque, un satrape,
Autant que toi hardi, cruel, astucieux.
C’est ce qu’on n’a pas vu sous le soleil des cieux !
— Sois maudit !

CROMWELL.
Avez-vous fini ?

CARR.
Non. Pas encore.
Sois maudit au couchant ! sois maudit à l’aurore !

Sois maudit dans ton char ! maudit dans ton coursier !
Dans tes armes de bois, dans tes armes d’acier !

CROMWELL.
Est-ce là tout ?