Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome II.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obstacles à la représentation de cet ouvrage, l’auteur, en les remerciant d’avoir bien voulu s’intéresser à une chose si peu importante, leur doit une explication ; la voici.

Après l’admirable révolution de 1830, le théâtre ayant conquis sa liberté dans la liberté générale, les pièces que la censure de la restauration avait inhumées toutes vives brisèrent du crâne, comme dit Job, la pierre de leur tombeau, et s’éparpillèrent en foule et à grand bruit sur les théâtres de Paris, où le public vint les applaudir, encore toutes haletantes de joie et de colère. C’était justice. Ce dégorgement des cartons de la censure dura plusieurs semaines, à la grande satisfaction de tous. La Comédie-Française songea à Marion de Lorme. Quelques personnes influentes de ce théâtre vinrent trouver l’auteur ; elles le pressèrent de laisser jouer son ouvrage, relevé comme les autres de l’interdit. Dans ce moment de malédiction contre Charles X, le quatrième acte, défendu par Charles X, leur semblait promis à un succès de réaction politique. L’auteur doit le dire ici franchement, comme il le déclara alors dans l’intimité aux personnes qui faisaient cette démarche près de lui, et notamment à la grande actrice qui avait jeté tant d’éclat sur le rôle de doña Sol : ce fut précisément cette raison, la probabilité d’un succès de réaction politique, qui le détermina à garder pour quelque temps encore, son ouvrage en portefeuille. Il sentit qu’il était, lui, dans un cas particulier.

Quoique placé depuis plusieurs années dans les rangs, sinon les plus illustres, du moins les plus laborieux, de l’opposition ; quoique dévoué et acquis, depuis qu’il avait âge d’homme, à toutes les idées de progrès, d’amélioration, de liberté ; quoique leur ayant donné peut-être quelques gages, et entre autres, précisément une année auparavant, à propos de cette même Marion de Lorme, il se souvint que, jeté à seize ans dans le monde littéraire par des passions politiques, ses premières opinions, c’est-à-dire ses premières illusions, avaient été royalistes et vendéennes ; il se souvint qu’il avait écrit une Ode du Sacre à une époque, il est vrai, où Charles X, roi populaire, disait aux acclamations de tous : Plus de censure ! plus de hallebardes ! Il ne voulut pas qu’un jour on pût lui reprocher ce passé, passé d’erreur sans doute, mais aussi de conviction, de conscience, de désintéressement, comme sera, il l’espère, toute sa vie. Il comprit qu’un succès politique à propos de Charles X tombé, permis à tout autre, lui était défendu à lui ; qu’il ne lui convenait pas d’être un des soupiraux par où s’échapperait la colère publique ; qu’en présence de cette enivrante révolution de juillet, sa voix pouvait se mêler à celles