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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome III.djvu/510

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sans répéter ici ce qu'il a déjà dit ailleurs, il sent que cette attention est pour lui pleine de responsabilité. Faire constamment effort vers le grand, donner aux esprits le vrai, aux âmes le beau, aux cœurs l'amour; ne jamais offrir aux multitudes un spectacle qui ne soit une idée : voilà ce que le poëte doit au peuple. La comédie même, quand elle se mêle au drame, doit contenir une leçon, et avoir sa philosophie. De nos jours, le peuple est grand ; pour être compris de lui, le poëte doit être sincère Rien n'est plus voisin du grand que l'honnête.
Le théâtre doit faire de la pensée le pain de la foule.
Un mot encore, et il a fini. Les Burgraves ne sont point, comme l'ont cru quelques esprits, excellents d'ailleurs, un ouvrage de pure fantaisie, le produit d'un élan capricieux de l'imagination. Loin de là : si une œuvre aussi incomplète valait la peine d'être discutée à ce point, on surprendrait peut-être beaucoup de personnes en leur disant que, dans la pensée de l'auteur, il y a eu tout autre chose qu'un caprice de l'imagination dans 4e choix de ce sujet et, .qu'il lui soit permis d'ajouter, dans le choix de tous les sujets qu'il a traités jusqu'à ce jour. En effet, il y a aujourd'hui une nationalité européenne, comme il y avait du temps d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide, une nationalité grecque. Le groupe entier de la civilisation, quel qu'il fût et quel qu'il soit, a toujours été la grande patrie du poëte.
Pour Eschyle, c'était la Grèce; pour Virgile, c'était le monde romain; pour nous,«'est l'Europe. Partout où est la lumière, l'intelligence se sent chez elle et est chez elle.
Ainsi, toute proportion gardée, et en supposant qu'il soit permis de comparer ce qui est petit à ce qui est grand, si Eschyle, en racontant la chute des titans, faisait jadis pour la Grèce une œuvre nationale, le poëte qui raconte la lutte des burgraves fait aujourd'hui pour l'Europe une œuvre également nationale, dans le même sens et avec la même signification. Quelles que soient les antipathies momentanées et les jalousies de frontières, toutes les nations policées appartiennent au même centre et sont indissolublement liées entre elles par une secrète, et profonde unité.
La civilisation nous fait à tous les mêmes entrailles, le même esprit, le même but, le même avenir. D'ailleurs, la France, qui prête à la civilisation même sa langue universelle et son initiative souveraine; la France, lors même que nous nous unissons à l'Europe dans une sorte de grande nationalité, n'en est pas moins notre première patrie, comme Athènes était la première patrie d'Eschyle et de Sophocle. Ils étaient Athéniens comme nous sommes Français, et nous sommes Européens comme ils étaient Grecs.
Ceci vaut la peine d'être développé. L'auteur le fera peut-être