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MANGERONT-ILS ?

ZINEB.

Je te dois tout, mon fils.

AÏROLO.

Je te dois tout, mon fils. Oui, vous avez raison.
Sans moi, vous étiez prise, et marchiez en prison.
Vous me devez ce bien, le vrai trésor, en somme.
Le seul, la liberté.

ZINEB.

Le seul, la liberté. Plus que cela, jeune homme.

AÏROLO.

Plus que la liberté, dites-vous. Alors quoi ?
La vie ! au fait, c’est vrai.

ZINEB.

La vie ! au fait, c’est vrai. Plus que cela.

AÏROLO.

La vie ! au fait, c’est vrai. Plus que cela. Ma foi,
Je commence à ne plus comprendre votre style.

ZINEB.

Écoute, je te dois la mort sombre et tranquille.
Je te dois, dans ce bois, sous ces rameaux cléments,
Parmi ces rocs sacrés, mystérieux aimants,
Sous les ronces, au pied des chênes, sur la mousse,
Dans la sérénité de l’obscurité douce,
La mort comme les loups et comme les lions.
Je te dois, loin des peurs et des rébellions,
L’évanouissement dans la bonne nature.
Tu m’aplanis le seuil de l’extrême aventure.
Sans toi j’étais perdue, ami, prise par eux.
Et, mourante, jetée aux vivants monstrueux !
J’ai cent ans. Hier j’ai dit : Mon agonie est proche.
Ce matin, je m’étais mise sous une roche.
Nous autres ! les esprits et les bêtes des bois,
Nous voulons finir loin des rumeurs et des voix ;