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MANGERONT-ILS ?

Fils, d’aller allumer mon âme à ce flambeau
Qu’un bras tend à travers le mur noir du tombeau !
Grâce à toi, dans mon bois j’expire souveraine.
J’étais une vaincue, et je suis une reine.
Merci !

AÏROLO, à part.

Merci ! C’est vrai, mourir à même la forêt,
C’est agréable. On a son lit d’herbes tout prêt.
Elle donne appétit de la mort, cette vieille.

ZINEB, regardant l’aurore autour d’elle.

En moi l’obscur trépas ; dehors l’aube vermeille.
Ah ! le contraste est bon. Pourvu que, loin de tous,
J’agonise en repos. Il est grand, il m’est doux
De mourir en plein jour ; la nuit vient pour moi seule.
Ces vieux arbres en fleur embaument leur aïeule ;
J’amalgame à mes os la terre qui les fit ;
L’ensevelissement des feuilles me suffit ;
Je ne veux pas d’autre ombre et n’ai pas d’autre temple.
Je meurs, les yeux ouverts, dans ce que je contemple.
C’est bien, tout luit pendant que je me refroidis.
Et quand j’expirerai tout à l’heure, tandis
Que je me mêlerai doucement aux ténèbres,
Et que mes yeux, remplis d’embranchements funèbres,
Dans les obscurités prêtes à m’engloutir
Chercheront le chemin par où je dois partir,
Le zénith sera bleu, les roses seront belles,
Et les petits oiseaux fouilleront sous leurs ailes.
Il est bon que ce soit ainsi. Je vais finir
Avec l’étonnement auguste de bénir.

À Aïrolo.

Sois béni. — J’ai vécu chouette, et meurs colombe
Je suis heureuse, ami, du côté de la tombe.
Je voyais moins de ciel du temps que je vivais.
Je me sens morte, et tout s’éclaircit, et je vais
Voir grandir par degrés la formidable étoile.

Elle se lève debout, chancelante, appuvée au rocher.

Salut, ô mort ! Salut, profondeur ! Salut, voile !
Ce que tu caches plaît à mon sinistre amour.
Salut ! la mort est aigle, et la vie est vautour.
Salut, réalité, fantôme ! Viens, je t’aime