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LE SPLEEN



I

TITUTI, dans son grenier.

Quel effrayant vacarme il a fait cette nuit !
Je n’ai pu fermer l’œil. Quel tumulte ! quel bruit !
Le vent dans mon esprit bouleversait les rêves
Comme il chasse le soir les houles sur les grèves.
Le triton Équinoxe à pleins poumons soufflait.
Sourd comme l’ouragan, aigu comme un sifflet,
Le noir clairon des nuits emplissait tout l’espace.
S’il fallait que jamais sur un toit je grimpasse,
Comme font les voleurs, par un vent furieux,
Hélas ! je m’en irais tout à travers les cieux
En faisant dans les airs cent folles pirouettes.
Avez-vous entendu grincer les girouettes ?
Ont-elles assez fait de train, assez jasé,
Les drôlesses ! De qui ? Ma foi, je ne le sai.
Elles se racontaient, je crois, les goguenardes,
Les secrets des catins qui sont dans les mansardes.
Les portes tressaillaient et sautaient sur leurs gonds.
Les moindres trous sifflaient ainsi que des dragons.
— Ou bien comme des gens de goût aux tragédies. —
Ô lune, tu n’as pas les manières hardies,
Comme une honnête fille en un logis peu sûr,
Tu cachais ton front chaste à l’horizon obscur.
L’air passait par les murs comme à travers un crible.
C’était lugubre, étrange, extravagant, terrible,
Sinistre. Il me semblait, au bruit, au tremblement,
Aux clameurs qui tombaient d’en haut confusément,
Semblables dans l’espace à de vagues huées,
Que le diable volait au milieu des nuées !


Nuit du 18 au 19 novembre 1848.