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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome V.djvu/586

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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.

grandeur sauvage, comme la mort de la sorcière. Telle autre, la Grand’mère, comédie sereine et douce, pourrait être jouée immédiatement et devrait l’être.

Et l’on doit signaler encore cette idylle Sur la lisière d’un bois, ponctuée par les réflexions d’un satyre goguenard ; le dialogue les Gueux, entre Mouffetard, le penseur en guenilles, et un passant quelconque, et ce monologue du roi saturé de grandeur et de pouvoir, et qui voudrait Être aimé.

… L’horizon est sombre et chargé de nuages ; ici se dresse l’étendard de la guerre sociale ; là, l’ennemi héréditaire, se sentant menacé, entasse les menaces ; d’effrayants cataclysmes se préparent ; demain, tout à l’heure, nous allons être tous peut-être emportés dans la tourmente ; qu’au moins nous puissions encore, au souffle exhalé d’entre les feuillets de quelque grand livre signé Hugo, rafraîchir nos fronts brûlés par l’âpre ouragan des tempêtes.


Nous terminons cette revue de la critique par des extraits d’un article fort intéressant de Camille Le Senne, publié le 8 novembre 1910 dans le Siècle. Le directeur du théâtre des Célestins de Lyon avait donné en matinée Mangeront-ils ? sans autorisation. D’où menace de procès et finalement accord entre les parties, grâce à l’intervention de la commission représentant la Société des auteurs dramatiques.

Camille Le Senne loue cette tentative de décentralisation littéraire, approuve le directeur du théâtre des Célestins qui a pris une avance méritoire sur la Comédie-Française en montant une œuvre empruntée au Théâtre en liberté de Victor Hugo. Il ajoute :

Pour les lecteurs qui l’ignoreraient ou qui l’auraient oublié (car l’extrême richesse du fonds Hugo entraîne souvent des amnésies partielles), rappelons succinctement quelles œuvres comprend ce Théâtre eu liberté dont la vogue égalera celle du théâtre de Musset quand il trouvera un directeur assez avisé pour lui rendre le même service que rendit jadis Arsène Houssaye au Caprice ou à Il ne faut jurer de rien. Un prologue, un petit acte intitulé la Grand’mère, un drame en cinq scènes : l’Épée, une fantaisie shakespearienne :Mangeront-ils ? puis de courtes saynètes : Sur la lisière d’un bois, les Gueux, Être aimé, la Forêt mouillée, tel est le bilan.

La Grand’mère est un petit chef-d’œuvre de sensibilité qui rappelle la Maison de Penarvan, de Jules Sandeau.

L’Épée, qui rappelle les conceptions héroïques de la Légende des Siècles, oppose à la tyrannie sauvage d’un des petits tyrans du treizième siècle, le duc de Dalmatie, trois grandes âmes : le grand-père Prêtre-Pierre, son fils Slagistri, et son petit-fils le pâtre Albos. Mais nous n’avons que le prologue du drame. Victor Hugo n’en a pas écrit les grandes scènes.


Quant à Mangeront-ils ?, Camille Le Senne dit que c’est une œuvre complètement achevée, « une pièce dont la mise en scène pourrait être aussi variée que celle du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. Le décor est unique, mais compliqué, avec une gradation de plans extrêmement curieuse, dont le détail montre quel foyer d’invention, quel cratère bouillonnant est resté jusqu’au bout le cerveau du poète ».

Camille Le Senne analyse la pièce en citant des fragments de dialogue, et il termine par ces lignes :

La vraie place de Mangeront-ils ? est à la Comédie-Française. Quand M. Jules Claretie se décidera-t-il à nous le faire entendre — et aussi Margarita — et encore Torquemada qui, pour appartenir à un autre cycle, n’en fait pas moins partie intégrante du Théâtre en liberté ?

Il n’est pas douteux que Mangeront-ils ?, les Deux Trouvailles de Gallus (Margarita et Esca), Torquemada sont, comme le dit fort bien Camille Le Senne, des pièces qui devraient paraître sur la scène parce qu’elles nous révéleraient un Victor Hugo nouveau ; et il n’est pas téméraire d’affirmer que l’administrateur général de la Comédie-Française partage le sentiment de l’éminent critique et