Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome V.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
47
L’ÉPÉE.

UNE JEUNE FILLE.

Le premier, c’est Albos. Mais… Puisque nous l’aimons.

LE VIEILLARD.

Et monseigneur aussi, sans quoi ce serait grave.

LE MONTAGNARD.

Nous sommes tous hardis, mais Albos, c’est le brave.
C’est le fort. Il roula l’autre jour un rocher
Que deux buffles tiraient sans le faire broncher.
L’ombre le craint. Son chant, qui se mêle aux tempêtes,
Fait reculer au fond des bois toutes les bêtes.
Il saute par-dessus l’abîme, et les chamois
Sont stupéfaits. Je l’ai vu saisir à la fois
Deux guépards, qu’il tua, sans qu’ils aient pu le mordre.
Comme il est défendu dans nos monts, par un ordre
Qu’un huissier tous les ans crie au son du tambour,
De se servir du fer autrement qu’au labour,
Il n’a que son bâton et sa fronde ; il attaque
Le vautour dans son trou, l’hyène en son cloaque ;
Il se laisse embrasser par l’ours, et l’un des deux
S’en repent, mais pas lui ; le lycaon hideux,
Le chatpard, dont il ouvre et disloque en silence
La gueule entre ses mains, craignent plus qu’une lance,
Qu’un glaive et qu’un épieu, l’écart de ses deux poings.
Ses bras durs et puissants valent mieux que des coins
Pour rompre un chêne, et l’arbre étreint par lui s’écroule ;
S’il voit une cabane où la pluie entre et coule,
Il apporte une échelle et refait un toit neuf ;
Si des pauvres n’ont pas de cheval ni de bœuf,
Albos vient, et s’attelle à leur charrue ; un prêtre
N’est pas plus secourable ; il mériterait d’être
Géant comme Samson et dieu comme Jésus.
Il est grand et terrible.

L’AUTRE MONTAGNARD.

Il est grand et terrible. Hier je l’aperçus.
Il m’a crié d’en haut : Demain, avec mon père,
Je redescendrai.