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L’ÉPÉE.

PRÊTRE-PIERRE, levant la tête.

N’écoutez pas les bruits inutiles. Des voix
Qu’on croit humaines sont l’illusion des bois.
Ô pasteurs, on n’a pas à trembler sous vos chaumes
Si des mots inconnus sont dits par des fantômes.
Dieu règne. Ce n’est pas l’affaire des vivants
D’écouter le sanglot désespéré des vents
Et des flots, car l’air triste et les sombres eaux creuses
Roulent dans leurs plis noirs les âmes malheureuses,
Et tout un groupe informe et vague de proscrits
Souvent dans l’ouragan passe en poussant des cris.
Les morts ont des tourments ainsi qu’ils ont des palmes.
Laissons l’obscurité tranquille, et soyons calmes.
J’arrive des grands monts couverts d’âpres forêts
Où l’on voit de plus loin l’aube et Dieu de plus près.
Je descends, et je suis une face éblouie.
Je me suis enivré l’esprit, les yeux, l’ouïe,
De ce vaste horizon visionnaire ; et, seul,
Étant le mage, étant l’apôtre, étant l’aïeul,
J’ai songé, peuple, ému par Dieu presque visible ;
Et, de ces profondeurs s’ouvrant comme une Bible,
De ces sommets sacrés, de ce ciel pur et chaud,
Je rapporte l’immense apaisement d’en haut.
Nos pères adoraient Vesta, mais, fils des cimes,
Habitaient comme nous les montagnes sublimes,
Et ces païens pensifs étaient chrétiens, pour peu
Qu’ils sentissent le souffle auguste du haut lieu,
Quand la clémente nuit, sainte autant qu’elle est sombre,
Courbait leurs fronts devant les étoiles sans nombre.
Peuple, acceptons le monde azuré de Rhéa,
D’Astrée et de Jésus comme Dieu le créa.
Dieu n’a point fait le choc, le refus, la querelle.
Il tira du chaos la paix surnaturelle ;
Il a fait les soleils se levant lentement
Sans haine et sans colère au fond du firmament,
Les constellations formidables et douces,
Mai plein de fleurs, l’agneau mordant les vertes pousses,
La glèbe offrant le grain au moulin qui le moud ;
Car la sérénité suprême régit tout,
Et l’enfer souffre moins, et l’ombre est apaisée
Quand les petits oiseaux sont ivres de rosée.
Devant nos aïeux fiers et forts, nous nous courbons ;