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L’ÉPÉE.
Haut, à Albos, montrant l’aïeul.

Sois pour lui filial, mais pour moi sois viril.
Entends-moi, tu n’as pas l’oreille encor fermée.
Quoi ! le piétinement sauvage d’une armée
Ne te fait pas dresser l’oreille, enfant des bois !
Tu ne sens pas frémir ce vieux mont aux abois !
Quoi ! tu ne vois partout que ciel bleu, qu’aube pure !
Quoi ! l’éternel soleil dans l’immense nature,
Tu ne vois que cela ! Mais l’honneur est détruit !
Quoi donc ! tu ne sens pas en toi monter la nuit !
Devant l’oppression, le bourreau, la géhenne,
Toi si tendre et si bon, tu ne sens pas de haine !
Quoi ! pour toi tout est l’hymne, et, dans ce grand concert,
Tu n’entends pas le cri sinistre ! À quoi te sert,
Jeune homme, d’être aimé, beau, charmant, populaire,
Si tu n’as jamais d’ombre et jamais de colère !
Je te sais grand, pensif, profond comme la mer,
Mais toujours doux, toujours calme, jamais amer !
Que sert d’être océan, si l’on n’a pas d’écume !
Le haut sapin est fait pour sortir de la brume ;
Rien n’est superbe comme un héros paysan.
Tu fais ce que tu veux de ce peuple, fais-en
Un peuple !

Albos baisse les yeux.
PRÊTRE-PIERRE, sévère.

Un peuple ! Paix ! c’est fête aujourd’hui.

SLAGISTRI.

Un peuple ! Paix ! c’est fête aujourd’hui. Sombre fête !

PRÊTRE-PIERRE.

Ta parole est d’un fou.

SLAGISTRI.

Ta parole est d’un fou. Qui serait un prophète.

PRÊTRE-PIERRE.

Mais ce peuple est heureux ! La joie est sur son front.

SLAGISTRI.

On ne commence point par là.