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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.

Je souffre, et ton retour serait ma guérison.
Écoute. Si tu veux rentrer dans ma maison,
Je serai bien content, il suffit de me dire :
J’avais tort, père ! et moi j’irai dire au duc : Sire,
Il avait tort. Le duc alors, l’évêque aussi,
Te feront grâce, et moi je te dirai : Merci !

SLAGISTRI.

Me feront grâce !

PRÊTRE-PIERRE.

Me feront grâce ! Un toit croulant devient prospère,
Quand toute la famille est complète, et le père,
Quand il pardonne, croit recevoir son pardon.
Est-il beau qu’un laurier se transforme en chardon,
Qu’une âme tourne en haine, et qu’un homme ait l’approche
D’un glacier, d’un buisson épineux, d’une roche ?
Rentre sous ce bon toit qui tous nous protégea.
Tu n’es plus jeune, et moi je suis si vieux ! Déjà
Quand tu naquis j’avais des cheveux gris, et l’âge
Me donnait rang parmi les anciens du village.
Rentre dans ta maison. Reviens. Regarde Albos !
C’est notre enfant. Il doit couvrir nos deux tombeaux
De son ombre, et tous deux il nous a pour racines.
Nos âmes dans son cœur doivent être voisines.
Reviens. Sois son amour comme il est notre orgueil.
Quoi ! tu ne veux donc pas, après un si long deuil,
L’épanouissement de tout ce cœur superbe !
Contemple ton fils, père, et, laboureur, ta gerbe.
Entends-moi, rends-toi, laisse amollir ton granit.
Ah ! jadis, quand j’avais ma couvée et mon nid,
Hélas ! quand tu jouais, enfant, près de ta mère,
Je ne t’aurais pas dit une parole amère
Et tendre, que j’aurais, avant d’avoir fini,
Senti courir vers moi ton pas doux et béni,
Et tes bras se hausser pour que mon front se penche,
Et tes petites mains tirer ma barbe blanche !
C’est donc bien malaisé de dire : J’avais tort !

SLAGISTRI.

Oui, certes, quand on est la justice.