Aller au contenu

Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome VI.djvu/265

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ACTE PREMIER, SCÈNE IV. 243

ROUSSELINE.

On n’a pas, depuis plusieurs années déjà, tout ce mobilier, et un gros loyer, et une vie convenable, et de la représentation, pour rien. Votre père a emprunté, par mon entremise, vingt-cinq mille francs. ÉTIENNETTE.

Soit. Je n’ai rien à répondre. C’est le naufrage. ROUSSELINE.

Votre père a voulu pour vous l’aisance. ériENNETTR.

La misère eût mieux valu.

ROUSSELINE.

Oh ! que voilà qui n’est pas mon avis ! J’approuve votre père. Les femmes sont faites pour être heureuses. Etre heureux, c’est être riche. Une robe de toile, de gros souliers, et un joli visage de dix-huit ans, ça jure. Soyez belles, mesdames, c’est votre devoir. Ravauder des bas le soir à la chandelle, cela éraille les y ;ux. Avoir aux doigts des piqûres d’aiguille, c’est laid. Qui dit femme, dit soie, velours, dentelles, bijoux, voiture au bois, loge au spectacle. Etre une femme, c’est avoir tout cela. On ne recommence pas la jeunesse quand on l’a manquée. On n’a pas deux fois dix-huit ans. Il faut qu’une jolie fille soit défrayée, qu’elle ne sente pas ce poids de la vie, qu’on s’en charge pour elle, qu’elle ne songe qu’à être jeune, qu’à être gaie, qu’à être charmante, qu’à être belle, et que quelqu’un fasse le budget de cette beauté-là. Si c’est le père, tant mieux j si ce n’est pas le père, il faut que ce soit un autre. Une seule chose importe, c’est que la femme chante, rie et plaise. Telle est ma morale. La vertu finit où la bêtise commence.

ETIENNETTE, absorbée et sans entendre Rousseline. Vingt-cinq mille francs ! où prendre vingt-cinq mille francs r ROUSSELINE.

Je suis un homme consciencieux, je ne veux rien vous laisser ignorer. D’ailleurs votre père n’aura pas toujours cent vingt pulsations et le délire, à son premier moment de lucidité il vous dirait la chose. Votre père n’est pas insolvable. Les vingt-cinq mille francs peuvent être payés. 17-