IV
VICTOR HUGO À SES CONCITOYENS
Je réponds à l’appel des soixante mille électeurs qui m’ont spontanément honoré de leurs suffrages aux élections de la Seine. Je me présente à votre libre choix.
Dans la situation politique telle qu’elle est, on me demande toute ma pensée. La voici :
Deux républiques sont possibles.
L’une abattra le drapeau tricolore sous le drapeau rouge, fera des gros sous avec la colonne, jettera bas la statue de Napoléon et dressera la statue de Marat, détruira l’institut, l’école polytechnique et la légion d’honneur, ajoutera à l’auguste devise : Liberté, Égalité, Fraternité, l’option sinistre : ou la Mort ; fera banqueroute, ruinera les riches sans enrichir les pauvres, anéantira le crédit, qui est la fortune de tous, et le travail, qui est le pain de chacun, abolira la propriété et la famille, promènera des têtes sur des piques, remplira les prisons par le soupçon et les videra par le massacre, mettra l’Europe en feu et la civilisation en cendre, fera de la France la patrie des ténèbres, égorgera la liberté, étouffera les arts, décapitera la pensée, niera Dieu ; remettra en mouvement ces deux machines fatales qui ne vont pas l’une sans l’autre, la planche aux assignats et la bascule de la guillotine ; en un mot, fera froidement ce que les hommes de 93 ont fait ardemment, et, après l’horrible dans le grand que nos pères ont vu, nous montrera le monstrueux dans le petit.