Aller au contenu

Page:Hugo - Actes et paroles - volume 1.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
138
AVANT L’EXIL. — RÉUNIONS ÉLECTORALES

M. Victor Hugo. — Disparaître, comme l’esclavage a disparu ! disparaître à jamais ! mais non en ramenant, sous une autre forme, le servage et la mainmorte ! (Sensation.)

Je n’ai pas deux paroles ; je disais tout à l’heure que je suis aujourd’hui l’homme que j’étais hier. Mon Dieu ! bien avant de faire partie d’un corps politique, il y a quinze ans, je disais ceci dans un livre imprimé : « Si, à moi qui ne suis rien dans l’état, la parole m’était donnée sur les affaires du pays, je la demanderais seulement sur l’ordre du jour, et je sommerais les gouvernements de substituer les questions sociales aux questions politiques. »

Il y a quinze ans que j’imprimais cela. Quelques années après la publication des paroles que je viens de rappeler, j’ai fait partie d’un corps politique… Je m’interromps, permettez-moi d’être sobre d’apologies rétrospectives, je ne les aime pas. Je pense d’ailleurs que lorsqu’un homme, depuis vingt-cinq ans, a jeté sur douze ou quinze cent mille feuilles sa pensée au vent, il est difficile qu’il ajoute quelque chose à cette grande profession de foi, et quand je rappelle ce que j’ai dit, je le fais avec une candeur entière, avec la certitude que rien dans mon passé ne peut démentir ce que je dis à présent. Cela bien établi, je continue.

Lorsque je faisais partie de la chambre des pairs, il arriva, un jour, qu’à propos des falsifications commerciales, dans un bureau où je siégeais, plusieurs des questions qui viennent d’être soulevées furent agitées. Voici ce que je dis alors ; je cite :

« Qui souffre de cet état de choses ? la France au dehors, le peuple au dedans ; la France blessée dans sa prospérité et dans son honneur, le peuple froissé dans son existence et dans son travail. En ce moment, messieurs, j’emploie ce mot, le peuple, dans une de ses acceptions les plus restreintes et les plus usitées, pour désigner spécialement la classe nombreuse et laborieuse qui fait la base même de la société, cette classe si digne d’intérêt parce qu’elle travaille, si digne de respect parce qu’elle souffre. Je ne le cache pas, messieurs, et je sais bien qu’en vous parlant ainsi je ne fais qu’éveiller vos plus généreuses sympathies, j’éprouve pour l’homme de cette