bureaux, M. Victor Hugo prononça, le 15 janvier, un discours que la sténographie a conservé. Le voici :
M. Victor Hugo. — Posons la question.
Deux souverainetés sont en présence.
Il y a d’un côté l’assemblée, de l’autre le pays.
D’un côté l’assemblée. Une assemblée qui a rendu à Paris, à la France, à l’Europe, au monde entier, un service, un seul, mais il est considérable ; en juin, elle a fait face à l’émeute, elle a sauvé la démocratie. Car une portion du peuple n’a pas le droit de révolte contre le peuple tout entier. C’est là le titre de cette assemblée. Ce titre serait plus beau si la victoire eût été moins dure. Les meilleurs vainqueurs sont les vainqueurs cléments. Pour ma part, j’ai combattu l’insurrection anarchique et j’ai blâmé la répression soldatesque. Du reste, cette assemblée, disons-le, a plutôt essayé de grandes choses qu’elle n’en a fait. Elle a eu ses fautes et ses torts, ce qui est l’histoire des assemblées et ce qui est aussi l’histoire des hommes. Un peu de bon, pas mal de médiocre, beaucoup de mauvais. Quant à moi, je ne veux me rappeler qu’une chose, la conduite vaillante de l’assemblée en juin, son courage, le service rendu. Elle a bien fait son entrée ; il faut maintenant qu’elle fasse bien sa sortie.
De l’autre côté, dans l’autre plateau de la balance, il y a le pays. Qui doit l’emporter ? (Réclamations.) Oui, messieurs, permettez-moi de le dire dans ma conviction profonde, c’est le pays qui demande votre abdication. Je suis net, je ne cherche pas à être nommé commissaire, je cherche à dire la vérité. Je sais que chaque parti a une pente à s’intituler le pays. Tous, tant que nous sommes, nous nous enivrons bien vite de nous-mêmes et nous avons bientôt fait de crier : Je suis la France ! C’est un tort quand on est fort, c’est un ridicule quand on est petit. Je tâcherai de ne point donner dans ce travers, j’userai fort peu des grands mots ; mais, dans ma conviction loyale, voici ce que je pense : L’an dernier, à pareille époque, qui est-ce qui voulait la réforme ? Le pays. Cette année, qui est-ce qui veut la dissolution de la chambre ? Le pays. Oui, messieurs, le pays nous dit : retirez-vous. Il s’agit de savoir si l’assemblée répondra : je reste.
Je dis qu’elle ne le peut pas, et j’ajoute qu’elle ne le doit pas.
J’ajoute encore ceci. Le pays doit du respect à l’assemblée, mais l’assemblée doit du respect au pays.
Messieurs, ce mot, le pays, est un formidable argument ; mais il n’est pas dans ma nature d’abuser d’aucun argument. Vous allez voir que je n’abuse pas de celui-ci.
Suffit-il que la nation dise brusquement, inopinément, à une assemblée, à un chef d’état, à un pouvoir : va-t’en ! pour que ce pouvoir doive s’en aller ?