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LA LIBERTÉ DU THÉÂTRE.

censure est un labeur impossible. Ces fonctions si difficiles, si délicates, sur lesquelles pèse une responsabilité si énorme, elles devraient logiquement être exercées par les hommes les plus éminents en littérature. En trouverait-on parmi eux qui les accepteraient ? Ils rougiraient seulement de se les entendre proposer. Vous n’aurez donc jamais pour les remplir que des hommes sans valeur personnelle, et j’ajouterai, des hommes qui s’estiment peu ; et ce sont ces hommes que vous faites arbitres, de quoi ? De la littérature ! Au nom de quoi ? De la morale !

Les partisans de la censure nous disent : — Oui, elle a été mal exercée jusqu’ici, mais on peut l’améliorer. — Comment l’améliorer ? On n’indique guère qu’un moyen, faire exercer la censure par des personnages considérables, des membres de l’institut, de l’assemblée nationale, et autres, qui fonctionneront, au nom du gouvernement, avec une certaine indépendance, dit-on, une certaine autorité, et, à coup sûr, une grande honorabilité. Il n’y a à cela qu’une petite objection, c’est que c’est impossible.

Tenez, nous avons vu pendant dix-huit ans un corps de l’état, très haut placé, remplir des fonctions beaucoup moins choquantes pour la susceptibilité des esprits, l’institut de France jugeant d’une manière préalable, et à un simple point de vue de convenance locale, les ouvrages qui devaient être présentés à l’exposition annuelle de peinture.

Cette réunion d’hommes distingués, éminents, illustres, a échoué à la tâche ; elle n’avait aucune autorité, elle était bafouée chaque année, et elle a remercié la Révolution de Février, qui lui a rendu le service de la destituer de cet emploi. Croyez-moi, n’accouplez jamais ce mot, qui est si noble, l’institut de France, avec ce mot qui l’est si peu, la censure.

Dans votre comité de censure mettrez-vous des membres de l’assemblée nationale élus par cette assemblée ? Mais d’abord j’espère que l’assemblée refuserait tout net ; et puis, si elle y consentait, en quoi elle aurait grand tort, la majorité vous enverrait des hommes de parti qui vous feraient de belle besogne.

Pour commission de censure, vous bornerez-vous à prendre la commission des théâtres ? Il y a un élément qui y serait nécessaire. Eh bien ! cet élément n’y sera pas. Je veux parler des auteurs dramatiques. Tous refuseront, comptez-y. Que sera alors votre commission de censure ? Ce que serait une commission de marine sans marins.

Difficultés sur difficultés. Mais je suppose votre commission composée, soit ; fonctionnera-t-elle ? Point. Vous figurez-vous un représentant du peuple, un conseiller d’état, un conseiller à la cour de cassation, allant dans les théâtres et s’occupant de savoir si telle pièce n’est pas faite plutôt pour éveiller des appétits sensuels que