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LE DROIT ET LA LOI.

C’est une vie violente que celle des orateurs. Dans les assemblées ivres de leur triomphe et de leur pouvoir, les minorités étant les trouble-fête sont les souffre-douleur. C’est dur de rouler cet inexorable rocher de Sisyphe, le droit ; on le monte, il retombe. C’est là l’effort des minorités.

La beauté du devoir s’impose ; une fois qu’on l’a comprise, on lui obéit, plus d’hésitation ; le sombre charme du dévouement attire les consciences, et l’on accepte les épreuves avec une joie sévère. L’approche de la lumière a cela de terrible qu’elle devient flamme. Elle éclaire d’abord, réchauffe ensuite, et dévore enfin. N’importe, on s’y précipite. On s’y ajoute. On augmente cette clarté du rayonnement de son propre sacrifice ; brûler, c’est briller ; quiconque souffre pour la vérité la démontre.

Huer avant de proscrire, c’est le procédé ordinaire des majorités furieuses ; elles préludent à la persécution matérielle par la persécution morale, l’imprécation commence ce que l’ostracisme achèvera ; elles parent la victime pour l’immolation avec toute la rhétorique de l’injure ; et elles l’outragent, c’est leur façon de la couronner.

Celui qui parle ici traversa ces diverses façons d’agir, et n’eut qu’un mérite, le dédain. Il fit son devoir, et, ayant pour salaire l’affront, il s’en contenta.

Ce qu’étaient ces affronts, on le verra en lisant ce recueil de vérités insultées.

En veut-on quelques exemples ?

Un jour, le 17 juillet 1851, il dénonça à la tribune la conspiration de Louis-Bonaparte, et déclara que le président voulait se faire empereur. Une voix lui cria :

— Vous êtes un infâme calomniateur !

Cette voix a depuis prêté serment à l’empire moyennant trente mille francs par an.

Une autre fois, comme il combattait la féroce loi de déportation, une voix lui jeta cette interruption :

— Et dire que ce discours coûtera vingt-cinq francs à la France !

Cet interrupteur-là aussi a été sénateur de l’empire.

Une autre fois, on ne sait qui, sénateur également plus tard, l’apostrophait ainsi :