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DISCOURS DE RÉCEPTION

3 juin 1841[1].


Messieurs,

Au commencement de ce siècle, la France était pour les nations un magnifique spectacle. Un homme la remplissait alors et la faisait si grande qu’elle remplissait l’Europe. Cet homme, sorti de l’ombre, fils d’un pauvre gentilhomme corse, produit de deux républiques, par sa famille de la république de Florence, par lui-même de la république française, était arrivé en peu d’années à la plus haute royauté qui jamais peut-être ait étonné l’histoire. Il était prince par le génie, par la destinée et par les actions. Tout en lui indiquait le possesseur légitime d’un pouvoir providentiel. Il avait eu pour lui les trois conditions suprêmes, l’événement, l’acclamation et la consécration. Une révolution l’avait enfanté, un peuple l’avait choisi, un pape l’avait couronné. Des rois et des généraux, marqués eux-mêmes par la fatalité, avaient reconnu en lui, avec l’instinct que leur donnait leur sombre et mystérieux avenir, l’élu du destin. Il était l’homme auquel Alexandre de Russie, qui devait périr à Taganrog, avait dit : Vous êtes prédestiné du ciel ; auquel Kléber, qui devait mourir en Égypte, avait dit : Vous êtes grand comme le monde ; auquel Desaix, tombé à Marengo, avait dit : Je suis le soldat et vous êtes le

  1. Note wikisource. — La source indique ici la date erronée du 2 juin 1841 et précise dans une note : « M. Victor Hugo fut nommé membre de l’académie française par 18 voix contre 16, le 7 janvier 1841. Il prit séance le 2 juin. » Il faut aussi corriger le résultat du scrutin, comme suit : 17 voix contre 15.