cette nation
s’appelle la France et quand ce poëte s’appelle Casimir Delavigne,
c’est plus qu’un honneur qu’on accepte, c’est un engagement qu’on
prend. Grave engagement envers la littérature, envers la renommée,
envers le pays ! Cependant, monsieur, j’ai hâte de rassurer votre
modestie. L’académie peut le proclamer hautement, et je suis heureux
de le dire en son nom, et le sentiment de tous sera ici pleinement
d’accord avec elle, en vous appelant dans son sein, elle a fait un
utile et excellent choix. Peu d’hommes ont donné plus de gages que
vous aux lettres et aux graves labeurs de l’intelligence. Poëte, dans
ce siècle où la poésie est si haute, si puissante et si féconde, entre
la messénienne épique et l’élégie lyrique, entre Casimir Delavigne
qui est si noble et Lamartine qui est si grand, vous avez su dans le
demi-jour découvrir un sentier qui est le vôtre et créer une élégie
qui est vous-même. Vous avez donné à certains épanchements de l’âme
un accent nouveau. Votre vers, presque toujours douloureux, souvent
profond, va chercher tous ceux qui souffrent, quels qu’ils soient,
honorés ou déchus, bons ou méchants. Pour arriver jusqu’à eux, votre
pensée se voile, car vous ne voulez pas troubler l’ombre où vous
allez les trouver. Vous savez, vous poëte, que ceux qui souffrent se
retirent et se cachent avec je ne sais quel sentiment farouche et
inquiet qui est de la honte dans les âmes tombées et de la pudeur dans
les âmes pures. Vous le savez, et, pour être un des leurs, vous vous
enveloppez comme eux. De là, une poésie pénétrante et timide à la
fois, qui touche discrètement les fibres mystérieuses du cœur. Comme
biographe, vous avez, dans vos Portraits de femmes, mêlé le charme
à l’érudition, et laissé entrevoir un moraliste qui égale parfois la
délicatesse de Vauvenargues et ne rappelle jamais la cruauté de La
Rochefoucauld. Comme romancier, vous avez sondé des côtés inconnus
de la vie possible, et dans vos analyses patientes et neuves on sent
toujours cette force secrète qui se cache dans la grâce de votre
talent. Comme philosophe vous avez confronté tous les systèmes ; comme
critique, vous avez étudié toutes les littératures. Un jour vous
compléterez et vous couronnerez ces derniers travaux qu’on ne peut
juger aujourd’hui,
Page:Hugo - Actes et paroles - volume 1.djvu/92
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