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LA DÉPORTATION.

Je poursuis.

Voilà un homme que le tribunal spécial a condamné.

Cet homme, un arrêt de déportation vous le livre. Remarquez ce que vous pouvez en faire, remarquez le pouvoir que la loi vous donne ! Je dis le code pénal actuel, la loi actuelle, avec sa définition de la déportation.

Cet homme, ce condamné, ce criminel selon les uns, ce héros selon les autres, car c’est là le malheur des temps… (Explosion de murmures à droite.)

M. le président. — Quand la justice a prononcé, le criminel est criminel pour tout le monde, et ne peut être un héros que pour ses complices. (Bravos à droite.)

M. Victor Hugo. — Je ferai remarquer ceci à monsieur le président Dupin : le maréchal Ney, jugé en 1815, a été déclaré criminel par la justice. Il est un héros, pour moi, et je ne suis pas son complice. (Longs applaudissements à gauche.)

Je reprends. Ce condamné, ce criminel selon les uns, ce héros selon les autres, vous le saisissez ; vous le saisissez au milieu de sa renommée, de son influence, de sa popularité ; vous l’arrachez à tout, à sa femme, à ses enfants, à ses amis, à sa famille, à sa patrie ; vous le déracinez violemment de tous ses intérêts et de toutes ses affections ; vous le saisissez encore tout plein du bruit qu’il faisait et de la clarté qu’il répandait, et vous le jetez dans les ténèbres, dans le silence, à on ne sait quelle distance effrayante du sol natal. (Sensation.’) Vous le tenez là, seul, en proie à lui-même, à ses regrets, s’il croit avoir été un homme nécessaire à son pays ; à ses remords, s’il reconnaît avoir été un homme fatal. Vous le tenez là, libre, mais gardé, nul moyen d’évasion, gardé par une garnison qui occupe l’île, gardé par un stationnaire qui surveille la côte, gardé par l’océan, qui ouvre entre cet homme et la patrie un gouffre de quatre mille lieues. Vous tenez cet homme là, incapable de nuire, sans échos autour de lui, rongé par l’isolement, par l’impuissance et par l’oubli, découronné, désarmé, brisé, anéanti !

Et cela ne vous suffit pas ! (Mouvement.)

Ce vaincu, ce proscrit, ce condamné de la fortune, cet homme politique détruit, cet homme populaire terrassé, vous