Page:Hugo - Actes et paroles - volume 2.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
66
AVANT L’EXIL. — ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE

tal, fait immense, événement considérable qui introduisit dans l’état un élément nouveau, irrévocable, définitif. Remarquez-en, messieurs, toute la portée. Certes, ce fut une grande chose de reconnaître le droit de tous, de composer l’autorité universelle de la somme des libertés individuelles, de dissoudre ce qui restait des castes dans l’unité auguste d’une souveraineté commune, et d’emplir du même peuple tous les compartiments du vieux monde social ; certes, cela fut grand. Mais, messieurs, c’est surtout dans son action sur les classes qualifiées jusqu’alors classes inférieures qu’éclate la beauté du suffrage universel. (Rires ironiques à droite.)

Messieurs, vos rires me contraignent d’y insister. Oui, le merveilleux côté du suffrage universel, le côté efficace, le côté politique, le côté profond, ce ne fut pas de lever le bizarre interdit électoral qui pesait, sans qu’on pût deviner pourquoi, — mais c’était la sagesse des grands hommes d’état de ce temps-là (on rit à gauche), — qui sont les mêmes que ceux de ce temps-ci… — (nouveaux rires approbatifs à gauche) ; ce ne fut pas, dis-je, de lever le bizarre interdit électoral qui pesait sur une partie de ce qu’on nommait la classe moyenne, et même de ce qu’on nommait la classe élevée ; ce ne fut pas de restituer son droit à l’homme qui était avocat, médecin, lettré, administrateur, officier, professeur, prêtre, magistrat, et qui n’était pas électeur ; à l’homme qui était juré, et qui n’était pas électeur ; à l’homme qui était membre de l’institut, et qui n’était pas électeur ; à l’homme qui était pair de France, et qui n’était pas électeur ; non, le côté merveilleux, je le répète, le côté profond, efficace, politique du suffrage universel, ce fut d’aller chercher dans les régions douloureuses de la société, dans les bas-fonds, comme vous dites, l’être courbé sous le poids des négations sociales, l’être froissé qui, jusqu’alors, n’avait eu d’autre espoir que la révolte, et de lui apporter l’espérance sous une autre forme (Très bien !), et de lui dire : Vote ! ne te bats plus ! (Mouvement.) Ce fut de rendre sa part de souveraineté à celui qui jusque-là n’avait eu que sa part de souffrance ! Ce fut d’aborder dans ses ténèbres matérielles et morales l’infortuné qui, dans les extrémités de sa détresse, n’avait d’autre arme, d’autre