Page:Hugo - Actes et paroles - volume 3.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voilà donc, monsieur, de quelle façon Tapner est mort.

Cette exécution a coûté cinquante mille francs. C’est un beau luxe[1].

Quelques amis de la peine de mort disent qu’on aurait pu avoir cette strangulation pour « vingt-cinq livres sterling ». Pourquoi lésiner ? Cinquante mille francs ! quand on y pense, ce n’est pas trop cher ; il y a beaucoup de détails dans cette chose-là.

On voit l’hiver, à Londres, dans de certains quartiers, des groupes d’êtres pelotonnés dans les angles des rues, au coin des portes, passant ainsi les jours et les nuits, mouillés, affamés, glacés, sans abri, sans vêtements et sans chaussures, sous le givre et sous la pluie. Ces êtres sont des vieillards, des enfants et des femmes ; presque tous irlandais ; comme vous, monsieur. Contre l’hiver ils ont la rue, contre la neige ils ont la nudité, contre la faim ils ont le tas d’ordures voisin. C’est sur ces indigences-là que le budget prélève les cinquante mille francs donnés au bourreau Rooks. Avec ces cinquante mille francs, on ferait vivre pendant un an cent de ces familles. Il vaut mieux tuer un homme.

Ceux qui croient que le bourreau Rooks a commis quelque maladresse paraissent être dans l’erreur. L’exécution de Tapner n’a rien que de simple. C’est ainsi que cela doit se passer. Un nommé Tawel a été pendu récemment par le bourreau de Londres, qu’une relation que j’ai sous les yeux qualifie ainsi : « Le maître des exécuteurs, celui qui s’est acquis une célébrité sans rivale dans sa peu enviable profession. » Eh bien, ce qui est arrivé à Tapner était arrivé à Tawel[2].

  1. « L’exécuteur Rooks a déjà coûté près de deux mille livres sterling au fisc. » Gazette de Guernesey, 11 février. Rooks n’avait encore pendu personne ; Tapner est son coup d’essai. Le dernier gibet qu’ait vu Guernesey remonte à vingt-quatre ans. Il fut dressé pour un assassin nommé Béasse, exécuté le 3 novembre 1830.
  2. « La trappe tomba, et le malheureux homme se livra tout d’abord à de violentes convulsions. Tout son corps frissonna. Les bras et les jambes se contractèrent, puis retombèrent ; se contractèrent encore, puis retombèrent encore ; se contractèrent encore, et ce ne fut qu’après ce troisième effort que le pendu ne fut plus qu’un cadavre. » (Execution of Tawel. Thorne’s printing establishment. Charles Street.)