Page:Hugo - Actes et paroles - volume 3.djvu/110

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autre homme, cet homme de l’ombre, qui se jette sur ces palpitations suprêmes, qui se cramponne aux jambes du misérable et qui se pend au pendu, monsieur, c’est épouvantable. Et si par hasard les conjectures que j’écarte avaient raison, si l’homme qui s’est accroché aux pieds de Tapner était M. Bonaparte, ce serait monstrueux. Mais, je le répète, je ne crois pas cela. Vous n’avez obéi à aucune influence ; vous avez dit : que la justice « suive son cours » ; vous avez donné cet ordre comme un autre ; les rabâchages sur la peine de mort vous touchent peu. Pendre un homme, boire un verre d’eau. Vous n’avez pas vu la gravité de l’acte. C’est une légèreté d’homme d’état ; rien de plus. Monsieur, gardez vos étourderies pour la terre, ne les offrez pas à l’éternité. Croyez-moi, ne jouez pas avec ces profondeurs-là ; n’y jetez rien de vous. C’est une imprudence. Ces profondeurs-là, je suis plus près que vous, je les vois. Prenez garde. Exsul sicut mortuus. Je vous parle de dedans le tombeau.

Bah ! qu’importé ! Un homme pendu ; et puis après ? une ficelle que nous allons rouler, une charpente que nous allons déclouer, un cadavre que nous allons enterrer, voilà grand’chose. Nous tirerons le canon, un peu de fumée en orient, et tout sera dit. Guernesey, Tapner, il faut un microscope pour voir cela. Messieurs, cette ficelle, cette poutre, ce cadavre, ce méchant gibet imperceptible, cette misère, c’est l’immensité. C’est la question sociale, plus haute que la question politique. C’est plus encore, c’est ce qui n’est plus la terre. Ce qui est peu de chose, c’est votre canon, c’est votre politique, c’est votre fumée. L’assassin qui du matin au soir devient l’assassiné, voilà ce qui est effrayant ; une âme qui s’envole tenant le bout de corde du gibet, voilà ce qui est, entre deux dîners, formidable. Hommes d’état, entre deux protocoles, entre deux sourires, vous pressez nonchalamment de votre pouce ganté de blanc le ressort de la potence, et la trappe tombe sous les pieds du pendu. Cette trappe, savez-vous ce que c’est ? C’est l’infini qui apparaît ; c’est l’insondable et l’inconnu ; c’est la grande ombre qui s’ouvre brusque et terrible sous votre petitesse.

Continuez. C’est bien. Qu’on voie les hommes du vieux