Page:Hugo - Actes et paroles - volume 3.djvu/153

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reboisé dans les deux pays toutes les pentes, prévenu par conséquent les inondations et les débordements, empoissonné tous les fleuves de façon à donner au pauvre le saumon à un sou la livre, multiplié les ateliers et les écoles, exploré et exploité partout les gisements houillers et minéraux, doté toutes les communes de pioches à vapeur, ensemencé les millions d’hectares en friche, transformé les égouts en puits d’engrais, rendu les disettes impossibles, mis le pain dans toutes les bouches, décuplé la production, décuplé la consommation, décuplé la circulation, centuplé la richesse ! ― Il vaut mieux prendre ― je me trompe ― ne pas prendre Sébastopol !

Il vaut mieux employer ses milliards à faire périr ses armées ! il vaut mieux se ruiner à se suicider !

Donc, devant le continent qui frissonne, les deux armées agonisent. Et, pendant ce temps-là, que fait « l’empereur Napoléon III » ? J’ouvre un journal de l’empire (l’orateur déploie un journal) et j’y lis : « Le carnaval poursuit ses joies. Ce ne sont que fêtes et bals. Le deuil que la cour a pris à l’occasion des morts des reines de Sardaigne sera suspendu vingt-quatre heures pour ne pas empêcher le bal qui va avoir lieu aux Tuileries. »

Oui, c’est le bruit d’un orchestre que nous entendons dans le pavillon de l’Horloge ; oui, le Moniteur enregistre et détaille le quadrille où ont « figuré leurs majestés » ; oui, l’empereur danse, oui, ce Napoléon danse, pendant que, les prunelles fixées sur les ténèbres, nous regardons, et que le monde civilisé, frémissant, regarde avec nous Sébastopol, ce puits de l’abîme, ce tonneau sombre ou viennent l’une après l’autre, pâles, échevelées, versant dans le gouffre leurs trésors et leurs enfants, et recommençant toujours, la France et l’Angleterre, ces deux Danaïdes aux yeux sanglants !

Pourtant on annonce que « l’empereur » va partir. Pour la Crimée ! est-ce possible ? Voici que la pudeur lui viendrait et qu’il aurait conscience de la rougeur publique ? On nous le montre brandissant vers Sébastopol le sabre de Lodi, chaussant les bottes de sept lieues de Wagram, avec