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PENDANT L’EXIL. — 1852.


Frères proscrits, amis belges,


En répondant à tant de cordiales paroles qui s’adressent à moi, souffrez que je ne parle pas de moi et trouvez bon que je m’oublie. Qu’importe ce qui m’arrive ! J’ai été exilé de France pour avoir combattu le guet-apens de décembre et m’être colleté avec la trahison ; je suis exilé de Belgique pour avoir fait Napoléon le Petit. Eh bien ! je suis banni deux fois, voilà tout. M. Bonaparte m’a traqué à Paris, il me traque à Bruxelles ; le crime se défend ; c’est tout simple. J’ai fait mon devoir, et je continuerai de faire mon devoir. N’en parlons plus. Certes, je souffre de vous quitter, mais est-ce que nous ne sommes pas faits pour souffrir ? Mon cœur saigne ; laissons-le saigner. Ne nous appelons-nous pas les sacrifiés ?

Permettez donc que je laisse de côté, ce qui me touche, pour remercier Madier-Montjau de ses généreuses effusions, Charras de ses grandes et belles paroles, Deschanel de sa noble et charmante éloquence, Dussoubs et Agricol Perdiguier de leur adieu touchant, et vous-mêmes, nos amis de Belgique, de vos fraternelles sympathies si fermement exprimées ; je ne sache rien de mieux, au moment de quitter cette terre hospitalière, au moment de nous séparer peut-être pour ne plus nous revoir, qu’une dernière malédiction à Louis Bonaparte et une dernière acclamation à la république.

Vive la république, amis !

(On crie de toutes parts : Vive la république ! L’orateur reprend :)

Il y a des gens qui disent : La république est morte. Eh bien ! si elle est morte, que le monde, absorbé à cette heure dans l’assouvissement joyeux et brutal des intérêts matériels, détourne un moment la tête, et qu’il regarde l’exil saluer le tombeau !

Proscrits, si la république est morte, veillons le cadavre ! allumons nos âmes, et laissons-les se consumer comme des cierges autour du cercueil ; restons inclinés devant l’idée morte, et, après avoir été ses soldats pour la défendre, soyons ses prêtres pour l’ensevelir.